Abdelaziz Ibn Ibrahim Thaalbi est né en 1874, il appartient à une famille de oulémas d’origine algérienne établie en Tunisie, descendants du calife Ali .
Son grand père Abderahman était un savant, qui avait étudié au Bougie, Tunis et au Caire, il était l’auteur du Tafsir « jawahar Al hossane fi Tafsir Al Quran », il est enterré à la casbah à Alger où un mausolée a été édifié en son honneur, bien que lui n’est jamais accepté ce genre d’action.
La famille Thaalbi exercèrent une grande influence sur toute la région de Bougie, enseignant les sciences religieuses dans les Madrassah locales.
Abderahman qui avait étudié à la zaytouna, émigra en Tunisie après la colonisation de l’Algérie, son fils Ibrahim étudia à son tour à la zaytouna et devint enseignant dans les mosquées de Tunis.
Par souci d’éviter l’allégeance à la France, les Thaalbi devinrent Tunisiens, ainsi le fils d’Ibrahim, abdelaziz sera considéré par les autorités françaises en 1881, comme un tunisien.
Abdelaziz grandit dans une famille religieuse et douloureusement marqué par la colonisation de l’Algérie, lui sera à son tour traumatisé par la conquête de la Tunisie.
Il décida dès sa jeunesse de consacrer sa vie à effacer la honte de la domination étrangère et à contribuer à la régénération de l’islam et des peuples musulmans.
Il excella dans ses études à la zaytouna et auprès des cheikhs locaux mais nourrit un vif ressentiment à l’égard de ses professeurs qui faisaient preuve de passivités à l’égard du protectorat français.
Étudiant pour se former religieusement et non pour l’obtention d’un diplôme il ne se présenta pas à l’examen de fin d’étude et finit même par déserter zaytouna pour continuer sa formation à l’aide de la lecture et des échanges avec les savants de son époque ainsi que les penseurs égyptiens qui écrivaient des articles dans la presse parlant de la situation de l’orient en proie à l’occident.
En 1890, le protectorat français était définitivement implanté et la mainmise du colonialisme totale, les tunisiens assistaient impuissants à pillage de leurs terres.
Ali Bey avait conclu un traité avec les français et demanda aux Tunisiens de leur obéir soutenant que la France respectant l’islam la révolte n’était pas nécessaire.
Influencés par l’anti impérialisme de Afghani, Mohammed Abdou et Rachid Rida certains Tunisiens prirent conscience de la nécessité de lutter contre le colonialisme dans une époque où le monde musulman était partout colonisé et l’empire Ottoman en cours de dépeçage.
En décembre 1895 il créa le journal Sabil ar rashad dans lequel il s’en prenait aux jeunes tunisiens formés en Europe ainsi qu’au cheikhs de la zaytouna qui faisaient preuves d’inaction vis à vis des colons.
Il était persuadé que l’inaction des oulémas était la cause du manque de volonté de résistance de la population, comme il était persuadé qu’une réforme de la zaytouna pourrait faire revivre l’islam facteur de réforme et de résistance.
Le journal fut suspendue pour un mois suite au plainte de la zaytouna.
Mais un incident cocasse rendit à nouveau le journal insupportable et fut prétexte à une suspension de 2 mois.
Des concurrents chocolatiers avaient lancés une rumeur que le chocolat Menier était fabriqué avec de la graisse de porc, les musulmans s’étaient abstenus d’en acheter.
Meunier demanda et obtient du cheikh Al Islam, Ahmed Belkhodja, une fatwa le niant et rendant sa consommation licite.
Le texte de la fatwa fut même glissé dans les tablettes de chocolat.
La rumeur soutint que le cheikh était un amateur de chocolat et qu’il avait reçu comme récompense pour sa fatwa une charette de ce produit.
La tablette étant vendue pour un sou, les enfants qui vendaient ces tablettes de chocolat dans la rue criaient « cheikh El islam b-sourdi » (pour un sou).
Sabil ar rachad écrivit un article sur cette affaire « voilà de quoi s’occupent nos oulémas, au lieu d’enseigner la vraie religion et d’être à l’avant garde de sa défense. »
Thaalbi décida de quitter la Tunisie pour l’orient, il s’installa d’abord a Tripoli mais le consulat de France demanda son expulsion à cause de sa propagande anti français, le gouverneur Ottoman lui demanda de quitter le pays, il se réfugia sur l’île de Crète puis sur Athènes et enfin Istanbul.
Après avoir rencontré de grands hommes de l’islam venu du monde entier dans la cap politique de l’islam, il se dirigea vers Le Caire où il étudia à l’université Al Azhar, il y fréquenta Mohammed Abdou et s’imprégna des idées diffusées par le journal Al Manar, la revue publiera également certains de ses articles.
En 1902, il rentre en Tunisie, ou l’association Al khaldounia créée en 1896 était devenu un foyer du nationalisme naissant.
Mohammed Abdou alors grand mufti d’Égypte vint à Tunis au cours de l’été 1903 et prêcha alors les idées anti colonialistes que Thaalbi prêchait depuis longtemps mais qui n’avait eu pour résultat que de le faire passer pour un illuminé.
Thaalbi allait pouvoir enfin donner écho à ses idées.
Profitant de l’essor anarchiste et des mouvements gauchistes européens anti colonialistes qui militaient pour les droits des indigènes, Thaalbi chercha à créer des relations étroites afin donner de la force à son combat et enrichir sa formation intellectuelle.
Loin d’adhérer à leurs idéaux et leurs idéologies, Thaalbi cherchait par leur intermédiaire à interpeller le monde français pour les interpeller et plaider la cause tunisienne qui lui tenait à cœur.
Il se rapprocha également des juifs Tunisiens afin de répondre à l’argument des colonisateurs que seul le protectorat français pouvait accorder la sécurité aux juifs contre les musulmans.
Thaalbi se mit alors à prêcher ouvertement ses idées comme la critique des superstitions et du maraboutisme, il encourageait l’esprit communautaire, l’aide aux démunis et l’enseignement de l’islam épuré des traditions populaires.
Son attaque des zawiyas alliées aux autorités coloniales lui valu d’être traduit devant le tribunal de la Driba, il répondit parfaitement aux accusations de blasphèmes professées par les marabouts.
Celui ci les accusaient de s’habiller de vêtement raccommodé que pour tromper les gens et que leurs miracles relevaient du charlatanisme.
Les autorités ottomanes l’excommunierent pour insulte envers l’islam et le Coran et demandèrent son exécution.
Les autorités françaises intervinrent de peur que des troubles n’éclatent, il s’en tira avec seulement 2 mois de prison .
Après avoir purgé sa peine il quitta la Tunisie.
Istanbul a l’époque réunissait tout les penseurs du panislamisme, qui espéraient que l’empire Ottoman survive et militaient pour l’indépendance du monde musulman, quand la première guerre mondiale se termina avec la défaite de la Turquie, les musulmans vécurent cela comme une catastrophe et l’annonce de la fin de l’empire.
Les provinces européennes de l’empire retrouvaient leur indépendance, les provinces arabes occupées par les anglais et les français, l’empire Ottoman était réduit au seul territoire turc, occupé momentanément par les anglais et convoité par les grecs.
L’espoir nourri par les musulmans de voir l’empire Ottoman se régénérer et présider le renouveau arabo-musulman se dissipa définitivement et eut pour conséquence de faire naître des mouvements nationalistes dans les pays arabes afin de lutter contre le colonialisme.
Ce fut le cas en Tunisie pour qui l’horizon politique se rétréci aux frontières tunisiennes.
Dans le même temps la révolution russe doctrinalement opposée au système colonial et prônant la révolution dans les colonies alimenta la poussée anti impérialiste et nationaliste des pays arabe.
Il était temps pour les tunisiens de lutter pour l’émancipation des peuples colonisés.
Thaalbi analysait le protectorat comme un système visant à détruire l’état et la société et à les remplacer par une administration directe et une colonisation française dominant l’ensemble Tunisien.
Il se plaçait dans une perspective globale d’émancipation des peuples colonisés.
Pour lui le destin de la Tunisie ne saurait être lié à la France, pays dominateur et porteur d’une autre civilisation.
L’objectif ne pouvait être que l’indépendance.
Revendiquer l’indépendance relevait de la folie car la loi punissait ce type de revendication vue comme une atteinte aux droits de la France.
Pour se faire il décida de ne pas proclamer publiquement sa volonté mais de revendiquer des réformes importantes permettant à terme d’obtenir l’indépendance.
Parmi ces revendications, celle d’un destour pour les tunisiens qui leur permettrait de retrouver des droits politiques alors niés.
En hiver 1919, se teint la conférence de la paix à Versailles, où Faysal fils du chérif de la Mecque, l’égyptien Saad Zaghloul et Chakib Arslan assistaient pour défendre leurs causes, Thaalbi décida de s’y rendre également afin de représenter le parti tunisien, faute de moyen il arriva en France alors que la conférence était finit et les traités signés.
Il profita de sa présence à paris pour présenter ses revendications aux politiques français, en particulier au Parti socialiste qui était opposé aux colonies, ainsi que vers les organisations humanitaires et indigénophiles ainsi que vers la presse.
Il publia son livre « la Tunisie martyr » où il dénonçait le régime de protectorat et exposait les revendications des tunisiens.


Son livre fut interdit en Tunisie, il n’y entra que clandestinement.
Thaalbi fut alors arrêté, son arrestation déclencha une vague de soutien, des articles de presse se mirent à le défendre ainsi que son livre.
Thaalbi fut fiché comme un anti-français a écarter et combattre et le monde politique français se divisa en deux à son sujet.
Les tunisiens militèrent pour sa libération et firent une pétition qu’ils remirent au Bey de Tunis pour réclamer un destour.
Libéré et de retour en Tunisie qui traversait une crise majeur fut obligé de s’exiler en orient où il devint un leader arabo-musulman.
Durant ses 14 ans d’exil il traversera l’orient et les pays musulmans d’Asie, il devint un des hérauts de la cause de la renaissance arabo-musulmane, au même titre que kawakibi, Arslan, Rachid Rida…
Soucieux des conséquences de la chute de l’empire Ottoman il pensait qu’il fallait agir vite avant que le monde arabe soit partagé par les anglo-francais.
Il se distingua lors du congrès de Jérusalem par un discours sur l’histoire de l’islam et son apport à l’occident, qui marqua l’auditoire, il leur demanda de cesser les pleurs et les manifestations de faibles mais de plutôt chercher à travailler sur les causes de leur mal.
Le congrès évoqua la situation des musulmans en Lybie, au Maroc et dans l’union soviétique, les débats furent centrés sur la réforme de l’islam, la Défense de la Palestine et des lieux saints, la lutte contre la domination européenne, une minute de silence fut observée en hommage à Omar El Mokhtar.
Le congrès insista sur la coopération entre musulmans et La Défense des intérêts islamiques.
L’assistance mis au point un destour comportant 17 articles mais aucune des décisions prises lors du congrès ne fut appliquées et malgré leur bruit que fit ce congrès son bilan fut un échec, sûrement car ce congrès était surtout panislamisme alors que les pays arabes vivaient l’essor du panarabisme laïque .
Thaalbi garda un souvenir amer de ce congrès, choqué de l’impuissance des musulmans à conduire une action jusqu’au bout.
Thaalbi s’installa alors au Caire d’où il entreprit un voyage en Asie musulmane, il se dirigea vers l’Inde en pleine effervescence nationaliste, ou hindouistes et musulmans luttaient pour l’indépendance .
Les musulmans minoritaires redoutaient d’être dominés par les hindouistes, une fois indépendants et craignaient de voir les anglais favoriser les hindouistes plus facilement assimilables .
Le monde arabe s’intéressait particulièrement à la situation des musulmans de l’Inde et décidèrent d’envoyer une délégation pour islamiser les hindouistes afin que les indiens deviennent tous croyants et donc égaux face au colonisateur anglais, l’islam étant la seule religion capable de détruire le système de caste fragilisant les indiens, un rapport fut présenté par Thaalbi à la direction d’Al Azhar, cette volonté d’envoyer une délégation déclencha une réaction hindouiste violente.
Ghandi s’opposa à l’islamisation et mis tout en œuvre pour faire échouer ce projet susceptible de redonner l’Inde aux musulmans.
Ce nouvel échec affecta fortement Thaalbi à nouveau.
Après 14 ans d’exil il fut autorisé à rentrer à Tunis, il écrivit à Arslan afin de lui annoncer la nouvelle et ajouta qu’il ne voulait pas se précipiter à rentrer car l’action de l’extérieur est plus simple que de l’intérieur.
Arrivé à Tunis, la population était divisé et pris dans des conflits politiques, un grand meeting fut organisé par le néo-destour où il donna un discours retentissant :

Les défenseurs de la colonisation protestèrent contre ce discours.
Les politiques anti colonialistes étaient alors divisés en deux groupes, le vieux destour et le parti des jeunes le neo-destour qui s’était séparé du premier, tous se demandait qui Thaalbi allait rejoindre.
Mais pour lui le destour était un et il en était le chef, il avait sacrifié sa personne pour la libération de la Tunisie, il voulait réunifier le destour, mais la scission entre les deux était trop grande.
Les adeptes du neo-destour craignait que l’union avec le vieux destour ne plonge le parti dans l’immobilisme, comme l’affirmait Bourguiba, mais il ne le fit pas savoir publiquement car s’opposer à Thaalbi n’était pas chose facile.
Néanmoins lors d’un conseil général la majorité refusa l’unification.
Thaalbi compris que cette division était une stratégie de l’ennemi pour mieux les diviser et malgré ses tentatives de conciliation, Bourguiba fit en sorte qu’elles n’aboutissent pas, Thaalbi compris que la soumission de Bourguiba n’était qu’apparente et qu’il l’avait trompé depuis le début.
Thaalbi réunit chez lui les responsables des deux groupes et fit participer avec lui son ami, le cheikh Ibn Badis président de l’association des oulémas algériens, tous proclamèrent leur intention d’oublier le passé et de s’unir pour le bien de la Tunisie.
Malgré les décisions d’union, il constata que les réticences persistaient du côté de Bourguiba et que cela influençait les partis des neo-destouriens.
Face à son impuissance et à l’influence de Bourguiba qui avait réussi à tromper le peuple il déclara « comment un musulman sincère se dérobe à la réconciliation imposée par de nombreux versets du Coran. Il se trouve que des criminels irresponsables n’hésitent pas à aiguiser leurs couteaux pour rompre les liens dont Dieu a imposé la consolidation. Leur sectarisme est encore plus grave que le sectarisme tribal de la jahiliya, condamné par les textes religieux et que rappelle aujourd’hui cette philosophie de l’effacement devant autrui, c’est à dire la démocratie. Ces hommes ont mérité le châtiment réservé à ceux qui font du tort à leurs peuples. Nous avons essayé comme Dieu l’a prescrit de les ramener dans le droit chemin. Ils ont rejeté nos conseils et sont restés sourds à nos objurgations. Plutôt que de se conformer à la loi divine, ils ont préféré s’en remettre au jugement des masses incultes, des voyous et des criminels. De ceux ci ils ont fait des soldats d’une mauvaise cause auxquelles nous nous heurtons dans chaque localité que nous visitons pour semer le bon grain. Ces apprentis sorciers de la politique, ces jeunes dévoyés oublient qu’au service des causes justes, nous ne craignons pas les menaces et qu’ils seront les premières victimes de leurs propres mensonges. »
Bourguiba réussit à l’aide de calomnie à dresser la population contre Thaalbi et les siens, là où ils aillaient ils étaient insultés et chassés par la jeunesse, leurs voitures lapidées.
Les autorités françaises suivaient cette affrontement entre les deux destours avec délectation.
Dans leur rapport ils écrivirent que l’opposition de Bourguiba était déterminée par la crainte de perdre son autorité morale et de craindre sa situation matérielle.
Les fonctionnaires français avaient autorisé le retour en Tunisie de Thaalbi car après une si longue absence, d’autres avaient pris sa place ainsi son retour pourrait semer la division dans les rangs des nationalistes.
Bourguiba qui avait durant l’exil de Thaalbi acquis pouvoir et responsabilité, s’opposa à Thaalbi par crainte de perdre son autorité morale et par crainte pour sa situation matérielle, indiquait le rapport des renseignements français.
Quand la seconde guerre mondiale débuta, Thaalbi déclara c’est après cette guerre que se posera définitivement la question de l’émancipation de la Tunisie et de tous les pays arabes colonisés.
Son conflit avec bourguiba fait que Thaalbi père du nationalisme tunisien, précurseur du réformisme islamique a été oublié et demeure peu connu alors qu’on lui doit le réveil d’un peuple et bien plus car son message a laissé des traces en orient et même en Asie.
Lui qui était proche de Ben Badis, de Rashid Rida et de Chakib Arslan, continue d’alimenter la littérature musulmane dans le monde mais est ignoré dans le pays qui lui doit pour beaucoup l’indépendance.
La Tunisie libre ne retiendra que Bourguiba, l’opposition de Thaalbi au nouveau héros de l’indépendance lui vaudra d’être oublié.