Critique de la société industrielle

L’outil et la crise

La prise de l’homme sur l’outil s’est transformée en la prise de l’outil sur l’homme.

On a éduqué l’homme à servir la machine qui devait travailler pour lui.

En voulant remplacer l’esclave par la machine, l’outil a fait de l’homme son esclave.

La dictature du prolétariat et la civilisation des loisirs sont deux variantes politiques de la même domination par un outillage industriel en constante expansion.

La solution, passer de la productivité à la convivialité, substituer à une valeur technique une valeur éthique.

Lorsqu’une société refoule la convivialité elle devient la proie du manque…

L’auteur appelle la société conviviale, la société où l’outil moderne est au service de la personne et de la collectivité, la société où l’homme contrôle l’outil et non celle où l’outil contrôle l’homme.

Le dogme de la croissance accélérée justifie la sacralisation de la productivité industrielle, aux dépens de la convivialité.

Il est inutile de se débarrasser des dirigeants d’aujourd’hui pour se borner à les remplacer, leurs remplaçants se prétendraient seulement plus légitimes, mieux fondée à manipuler ce pouvoir hérité et tout structuré.

Il n’y a qu’une façon de liquider les dirigeants, c’est de briser la machinerie qui les rend nécessaires-et par là même la demande massive qui assure leur empire.

L’éducation produit des consommateurs compétitifs; la médecine les maintient en vie dans l’environnement outillé qui leur est désormais indispensable; et la bureaucratie reflète la nécessité que le corps social exerce son contrôle sur les individus appliqués à un travail insensé.

Qu’à travers l’assurance, la police et l’armée croisse le coût de la défense des nouveaux privilèges, cela caractérise la situation inhérente à une société de consommation; il est inévitable qu’elle comporte deux types d’esclaves, ceux qui sont intoxiqués et ceux qui ont envie de l’être.

L’école exerce un monopole radical sur le savoir en le redéfinissant comme éducation, aussi longtemps que les gens acceptent la définition de la réalité que leur donne le maître, les autodidactes sont officiellement étiquetés comme non éduqués.

Le monopole radical reflète l’industrialisation des valeurs.

A la réponse personnelle, il substitue l’objet standardisé; il crée de nouvelles formes de rareté et un nouvel instrument de mesure, donc de classement, du niveau de consommation des gens.

Ce reclassement provoque la hausse du coût unitaire de prestation du service, module l’attribution des privilèges, restreint l’accès aux ressources et installe les gens dans la dépendance.

Le monopole scolaire n’est pas fondé d’abord sur une loi qui réprimerait, chez les parents ou leurs enfants, la désertion scolaire, non qu’il n’y ait de telles lois, mais l’école s’appuie sur une autre tactique: ségrégation des non-scolarisés, centralisation de l’outillage du savoir sous le contrôle des maîtres, traitement social privilégié des étudiants.

L’homme des villes est de moins en moins à l’aise pour faire sa chose à lui.

Faire la cuisine, la cour ou l’amour devient matière à enseignement.

Dévié par et vers l’éducation, l’équilibre du savoir se dégrade.

Les gens savent ce qu’on leur a appris mais ils n’apprennent plus par eux mêmes.

Le savoir est dès lors un bien et comme tout bien, mis sur le marché, il est soumis à la rareté.

L’éducation c’est la préparation programmée à la « vie active » moyennant l’ingurgitation d’instructions massives et standardisées produites par l’école.

Les écoles sont les premières frappées des mécanismes de capitalisation du soir, les instituteurs se révèlent être des « conditionneurs » très efficaces.

Substituer le réveil de l’éducation à l’éveil du savoir, c’est étouffer dans l’homme le poète, geler son pouvoir de donner sens au monde. Pour peu qu’on le coupe de la nature, qu’on le prive de travail créatif, qu’on mutile sa curiosité, l’homme est déraciné, ligoté, il se fane.

Noyer l’homme dans le bien être c’est l’enchaîner au monopole radical.

Pourrir l’équilibre du savoir, c’est faire de l’homme la marionnette de ses outils.

Ce qu’enseigne le maître n’a guère d’importance dès lors que les enfants doivent passer des centaines d’heures assemblées par classes d’âges, entrer dans la routine du programme et recevoir un diplôme en fonction de leur capacité à s’y soumettre.

Qu’Apprend on a l’école ? On apprend que plus on y passe d’heures, plus on vaut cher sur le marché.

On apprend à valoriser l’avancement hiérarchique, la soumission et la passivité.

On apprend à briguer sans indisciplines les faveurs du bureaucrate qui préside aux séances quotidiennes, à l’école le professeur, à l’usine le patron.

On apprend à accepter sans broncher sa place dans la société.

Les intoxiqués de l’éducation font de bons consommateurs et de bons usagers, ils voient leur croissance personnelle sous la forme d’une accumulation de biens et de services produits par l’industrie.

Plutôt que de faire les choses par eux mêmes, ils préfèrent les recevoir emballés par l’institution.

Ils étouffent leur pouvoir inné d’appréhender le réel.

Jamais l’outil n’a été aussi puissant.

Et jamais il n’a été à ce point accaparé par une élite.

Le droit divin volait moins au secours des rois d’antan que la croissance des services à celui des cadres d’aujourd’hui dans l’intérêt supérieur de la production.

L’usure

Chaque fois qu’une société se nourrit de l’illusion de l’usure, elle produit une nouvelle pauvreté.

Le consommateur, l’usager ressent durement la distance entre ce qu’il a et ce qu’il serait mieux d’avoir.

Rien n’échappe à l’usure, pas même les concepts.

La logique du « toujours mieux » remplace celle du bien comme élément structurant de l’action.

L’usure menace de déraciner l’espèce humaine.

La surabondance de biens mène à la rareté du temps, le temps se raréfie parce qu’il faut le temps de consommer et de se faire soigner et parce que l’accoutumance à la production rend plus coûteuse encore la désaccoutumance.

Lorsque le futur devient le présent, nous avons sans cesse le sentiment de manquer de temps.

D’instrument, l’outil peut devenir maitre, puis bourreau de l’homme.

La relation s’inverse plus vite qu’on ne s’y attend.

Le vaccin qui sélectionne ses victimes engendre une race capable de survivre seulement dans un milieu conditionné.

L’outil peut croître de deux façons, soit il augment le pouvoir de l’homme, soit il le remplace.