Roger Garaudy raconte sa rencontre avec Bachir al Ibrahimi:
Un immense portrait de l’Emir Abd El Kader dans la maison de Cheikh Mohamed Bachir Ibrahimi, c’est l’image dominante que je conserve de la première rencontre avec le cheikh, en 1944, lorsque, après mon essai sur LA CONTRIBUTION DE LA CIVILISATION ARABO-ISLAMIQUE A LA CULTURE UNIVERSELLE, il me reçut chez lui.
Il raconte :
Ils (les oulémas algériens) refusaient à la fois les idées de Zya Gokalp, en Turquie, mises en pratique, quelques années plus tard, par Mustapha Kemal, qui, confondant « modernisation » avec « occidentalisation », faisaient perdre à l’Islam son âme par une imitation mécanique de l’Occident, et le conservatisme aveugle.
Cheikh Ben Badis et Cheikh Ibrahimi ont eu à combattre ce double fléau : l’imitation servile de l’Occident, et l’imitation servile du passé.
Cheikh Ibrahimi écrivait que le pire défaut de ceux qui adoptent la culture occidentale « c’est une ignorance totale des vérités de l’Islam, et que le pire défaut de ceux qui se réclament de la culture islamique est une ignorance totale des problèmes et des exigences de notre siècle. »
Dans la perspective islamique, où la foi est inséparable des lois de la communauté, c’est-à-dire de la politique, le problème majeur était de découvrir comment l’Islam pouvait se « moderniser » sans cesser d’être lui-même, c’est-à-dire sans imiter l’Occident.
Parce qu’ils étaient pénétrés de cette vérité coranique, les hommes qui créèrent, en 1931, avec Cheikh Ben Badis et Cheikh Ibrahimi, l’Association des Oulémas, mirent au premier plan de leur programme un gigantesque effort d’éducation, à la fois contre l’école de dépersonnalisation de l’occupant colonialiste qui tentait de déraciner l’enfant Algérien de la culture arabo-islamique, contre l’obscurantisme maraboutique, si contraire, par ses superstitions et ses « intercessions », à l’esprit de l’Islam (et choyé, pour cette raison, par le pouvoir colonialiste).
Le mérite des réformateurs fut de montrer qu’au lieu d’opposer stérilement science et religion, il était possible de réaliser une intégration critique et sélective des sciences et des techniques de l’Occident, en les subordonnant, comme des moyens, au but de l’Islam.
L’occupant ne se trompait pas sur l’importance de ce travail en profondeur : dès le mois de mars 1940, Cheikh Irahimi était exilé en résidence surveillée. C’est dans cette situation qu’il fut élu, à la mort de Cheikh Ben Badis, Président de l’Association des Oulémas. Libéré au début de 1943, il crée, en une seule année, soixante-treize médersas dans les villes et les villages, et quatre cents au cours des années suivantes. Arrêté après les massacres perpétrés en 1945 par l’occupant, Cheikh Ibrahimi se remit, dès sa libération, à sa tâche éducative.
Témoignage du XXe siècle