George Soros, spéculateur et philanthrope

En s’engageant publiquement dans la campagne électorale présidentielle états-unienne pour contrer la candidature de George W. Bush, le milliardaire George Soros a soulevé une tempête à Washington. A contrario, le célèbre spéculateur s’est attiré la sympathie de tous ceux qui, dans le monde, redoutent que Bush ne se succède à lui-même.

Né en Hongrie, en 1930, il s’installe en Angleterre à l’issue de la seconde Guerre mondiale, en 1947. Il y rencontre le philosophe anticommuniste Karl Popper, dont il ne cessera de se réclamer. En 1956, il part aux États-Unis et y créé les premiers « fonds de couverture » à l’intention des grandes fortunes. À partir de 1969, sa principale société, le Quantum Fund (domicilié dans des paradis fiscaux, aux Antilles néerlandaises puis à Curacao), assure un retour sur investissement de 34,5 % en moyenne par an.

« l’homme-qui-fit-sauter-la-banque-d’Angleterre »

George Soros n’a jamais créé de richesses, mais s’est enrichi grâce à son activité boursière. Avec 7 milliards de dollars, son patrimoine serait aujourd’hui la 28e fortune des États-Unis selon le classement 2003 du magazine Forbes. Surnommé « l’homme-qui-fit-sauter-la-banque-d’Angleterre », après un raid sur la livre sterling, en septembre 1992, qui lui rapporta 1 milliard de dollars au détriment du contribuable britannique, il est devenu le paradigme du spéculateur. Bien qu’il ait connu de fortes pertes lors du krach boursier de 1987, de la crise russe de 1998 et de l’éclatement de la bulle internet, il a été le grand bénéficiaire de la crise asiatique thaïlandaise de 1997 et de la crise asiatique.

Présidant aux destinés d’une multitude d’associations auxquelles il aurait consacré plus de 300 millions, il serait l’un des plus grands philanthropes modernes. Sa fondation principale, l’Open Society Institute, tient son nom du projet philosophique de son maître Karl Popper : construire des sociétés ouvertes, c’est-à-dire conscientes de leurs imperfections et capables de s’améliorer, pour rendre le monde meilleur. Ses principaux programmes visent à la défense des droits de l’homme, à la lutte contre la toxico-dépendance, à la formation des cadres politique et, au développement de la liberté d’information. Ces objectifs consensuels incluent des campagnes controversées de défense des droits des homosexuels, de dépénalisation des drogues et d’instauration de programmes de substitution pour les toxicomanes. Cette activité charitable et progressiste a utilement contrebalancé son image de prédateur financier.

Cependant, depuis plusieurs années, des voix se sont élevées pour suggérer que son action philanthropique est une couverture aux interventions de la CIA et de l’État d’Israël dans le monde et que sa fortune doit plus aux délits d’initiés qu’à la « touche de Midas » [1].

Initialement le Quantum Fund était administré par des représentants de Lord Jacob Rothschild (actuel fondé de pouvoir de Michail Khodorkovsky), de Sir James Goldsmith (qui fut député européen aux côtés de Philippe de Villiers) et d’Edmond Safra (principal négociant en armes d’Israël).

Membre du Carlyle Group

The Nation a récemment révélé que c’est George Soros, via les sociétés Harken Energy et Spectrum 7, qui, en 1990, sauva George W. Bush de la faillite en épurant ses dettes. Interrogé à ce sujet par le journal, il a déclaré avoir agit ainsi pour s’acheter « de l’influence politique » (sic) [2].

Comme son ami Khodorkovsky, George Soros est entré au Carlyle Group lorsque celui-ci est devenu le refuge des ex de l’administration Bush père, en 1992. Ce groupe est la plus importante société de gestion de portefeuille au monde. Il s’occupe principalement des patrimoines des familles Bush et Ben Laden Par l’intermédiaire des sociétés qu’il contrôle, le Carlyle Group est le 11e fournisseur du Pentagone.

Le 20 décembre 2002, George Soros a été condamné à 2,2 millions d’amende par le tribunal correctionnel de Paris pour délit d’initié lors du raid boursier contre la Société Générale, en 1988.

Human Rights Watch et l’International Crisis Group

Outre l’Open Society Institute (OSI), qui est présent dans une cinquantaine de pays, George Soros a créé ou finance diverses associations et fondation de premier plan, tel que Human Rights Watch et l’International Crisis Group.

Human Rights Watch (HRW) a été l’une des organisations qui a le plus documenté les crimes attribués à Slobodan Milosevic, justifiant ainsi l’intervention de l’OTAN contre la Serbie. Une large partie des imputations de cette association n’a pu être confirmée à ce jour par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

L’International Crisis Group (ICG) a été créé en 1994 comme organisation diplomatique non-gouvernementale, sous la présidence du sénateur démocrate George Mitchell (qui donna son nom au rapport du même nom sur la question israélo-palestinienne). D’abord actif au Burundi, au Nigéria et au Sierra-Leone, l’ICG s’est rapproché de l’OTAN à propos de la Yougoslavie. Il est aujourd’hui présidé par Martti Ahtisaari, l’ancien président finlandais qui fit mine de négocier avec Milosevic pour empêcher la guerre. Son conseil d’administration ressemble à un bottin de personnalités atlantistes. Aux côtés des anciens conseillers nationaux de sécurité Richard Allen et Zbigniew Brzezinski, on trouve le prince koweïtien Saud Nasir Al-Sabah, l’ancien procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie Louise Arbour, ou l’ancien commandeur suprême de l’OTAN pendant la guerre de Yougoslavie le général Wesley Clark. Quelques relations financières comme l’ex-président philippin Fidel Ramos ou l’oligarque russe Michail Khodorkovsky, tous membres du Carlyle Group. Figurent aussi des personnalités françaises : Simone Veil, présidente du mémorial de la Shoah, et la journaliste Christine Ockrent, épouse de l’ex-gouverneur du Kosovo Bernard Kouchner.

En 2001, George Soros a créé le Democracy Coalition Project (DCP) chargé d’animer le forum non-gouvernemental en marge des sommets de la Communauté des démocraties organisés par le département d’État états-unien.

Parmi les auteurs de son agence, la crême des économistes néo-libéraux

Il a également créé un Network Media Program qui a racheté les archives de Radio Free Europe (dont l’un des anciens dirigeants, Herbert Okun, siège au conseil d’administration de l’OSI), la station de la CIA pendant la Guerre froide. Il a subventionné de nombreux médias « indépendants », tel Radio B92 pendant la guerre de Yougoslavie et aujourd’hui des journaux « libres » en Irak. Il contrôle Project Syndicate, une agence de diffusion de tribunes libres de personnalités politiques dans 181 quotidiens internationaux. Parmi ses auteurs, on trouve la plupart des administrateurs de l’ICG et la crême des économistes néo-libéraux [3].

Il préconise d’instrumentaliser les victimes du 11 septembre

En septembre 2001, juste après les attentats, George Soros participa à un groupe de travail du Council on Foreign Relations, le club de l’establishment washingtonien, sur le rôle de la propagande dans la guerre au terrorisme. Les travaux étaient présidés par l’ambassadeur Richard C. Holbrooke, qui joua un rôle crucial dans le déclenchement de l’attaque de la Yougoslavie et dont l’épouse, Kati Marton, est administratrice de l’OSI. Le relevé des conclusions adressé au président Bush préconise de convaincre le reste du monde du bien-fondé de la politique étrangère des États-Unis en ressassant en permanence les attentats du 11 septembre et en instrumentalisant les victimes pour susciter la compassion. Il insiste pour que les gouvernements étrangers soient non seulement invités à condamner les attentats, mais à approuver le raisonnement qui en découle sur la guerre au terrorisme. Enfin, il conseille de développer une présence médiatique dans le monde, notamment en incluant des suppléments du New York Times dans de grands quotidiens amis.

La Russie a expulsé l’Open Society Institute fin 2003

Au cours des dernières années, George Soros a joué un rôle central dans des changements de régime, notamment en Europe centrale et orientale. Il fut particulièrement actif en Pologne où il était à la fois l’ami personnel du général Jaruselski et le principal mécène officiel du syndicat Solidarnoc (on retrouve aujourd’hui Bronislaw Geremek au conseil d’administration de l’ICG). Mais aussi bien sûr en Hongrie, sa patrie d’origine.

Il semble avoir participé à la mise en scène de la « révolution de velours » en Tchéquie, qui plaça au pouvoir Vaclav Havel. Il réédita ce modèle en Serbie pour renverser Slobodan Milosevic et plus récemment en Géorgie contre Edouard Shevarnardze. À chaque fois, il s’est appuyé sur des mouvements de jeunesse du type Otpor. Il est accusé de fomenter des troubles identiques en Ukraine et en Biélorussie. Pour mettre fin à son ingérence en Russie, les autorités ont saisi prétexte d’un loyer impayé pour expulser l’Open Society Institute quelques jours après avoir arrêté Mikhail Khodorkovsky qu’elles soupçonnaient de comploter.

Qu’est-ce qui fait courir George Soros ?

Compte tenu des multiples facettes de l’homme-qui-fit-sauter-la-banque-d’Angleterre, il est difficile de comprendre pourquoi il a choisi d’investir aujourd’hui 12 millions de dollars pour s’opposer à l’élection de George W. Bush. Dans un article remarqué du New Statesman [4], le journaliste Neil Clark assure que le président et le milliardaire, qui ont longtemps collaboré et collaborent encore, sont tous deux partisans de l’Empire néo-libéral, mais s’opposent quant à la manière de le gérer. George Soros, qui s’applique depuis des années à donner une apparence de visage humain au capitalisme financier, considérerait que la brutalité de George W. Bush met en péril l’acceptation du système par les peuples. D’autres insinuent que la campagne de Soros est vouée à l’échec et sert uniquement à créer l’illusion d’un débat démocratique aux États-Unis.

En 2002, il déclarait « Dans la Rome antique, seuls les Romains votaient. Sous le capitalisme mondial moderne, seuls les Américains votent. Les Brésiliens, eux, ne votent pas ». Tout un programme.

[1] Personnage mythique, le roi Midas était censé transformer tout ce qu’il touchait en or.

[2] Cf. Bush and billionaire : How insider capitalism benefited W. par David Corn, The Nation du 17 juillet 2002.

[3] Pour la France, les économistes Michel Camdessus, Daniel Cohen, Jean-Paul Fitoussi, Jean-Pierre Lehmann, Jean Pisani-Ferry ; et des politologues comme François Heisbourg, Pierre Nora ou Jacques Rupnik

[4] Cf. George Soros, NS Profile par Neil Clark, in New Statesman du 2 juin 2003.

http://www.voltairenet.org/article11936.html