Le mariage est un dévouement absolu

Proudhon écrit

Est-ce qu’on vend la pudeur? La pudeur qui se vend, vous savez comment on l’appelle, c`est la prostitution.

De même la beauté, mot par lequel je résume toutes les prérogatives de la femme, ne se vend ni ne s’escompte: elle est hors du commerce.

C’est pourquoi entre l’homme et la femme qui s’épousent, il n’y a pas, ainsi qu’on l’a dit et que vous l’imaginez, association de biens et de gains comme entre négociants ou propriétaires : il y a don mutuel et gratuit, dévouement absolu. Le contrat de mariage est donc d’une tout autre nature que le contrat de vente, d’échange ou de loyer : c’en est le renversement.

L’homme, expression de la force, est attiré par la beauté. Il veut se l’approprier, s’unir à elle d’une union indissoluble. Comment l’obtiendra-t-il ? Quel prix en offrira-t-il ? Aucun.

Rien de ce que possède l’homme, de ce qu’il peut créer ou acquérir, ne saurait payer la beauté. Les caresses mêmes de l’amour ne sont pas un prix digne d’elle : des amants qui se prennent pour cause de volupté sont des égoïstes, leur union n’est point un mariage, la conscience universelle l’a appelée fornication, paillardise, libertinage.

L’homme digne, dont le cœur aspire à la possession de la beauté, comprend de suite une chose, c’est qu’il ne peut l’obtenir que par le dévouement. Lui qui a la force, il se met aux pieds de la femme, il lui consacre son service et se fait son serviteur.

Lui qui la sait faible, enivrée d’amour, il devient respectueux, il écarte toute parole, toute pensée de volupté. Sa fortune, son ambition, il les sacrifiera pour lui plaire ; il n’y a que sa conscience qu’il ne sacrifiera pas, parce que sa conscience est sa force et que c’est dans l’union de la force et de la beauté que consiste le mariage.

Dévouement absolu, dévouement d’une conscience forte et sans tache, voilà, en réalité, tout ce que l’épouse offre à son époux, la seule chose qu’il puisse offrir et qu’elle, de son côté, puisse accepter.

Même mouvement du côté de la femme. Autant elle a en prédominance la beauté, autant elle a d’inclination pour la force. Cette force, si désirable, elle la redoute d’abord ; tout être faible éprouve une certaine crainte de l’être fort.

Pour apprivoiser, dompter cette force, l’offre de sa beauté ne servirait de rien, elle aurait fait acte de prostitution.

Pour conquérir la force de l’homme, la beauté de la femme est aussi impuissante que la force elle-même est impuissante à conquérir la beauté. Ici, comme tout à l’heure, il ne reste qu’un moyen : le dévouement.