Église et Usure
Les pères de l’église au 4e et 5e siècles ont interdit l’intérêt pour ce qu’il comporte comme contradiction quant au message de charité de l’église conformément au texte Biblique :
-Dans le Livre de l’Exode, Yahvé ordonne à Moïse : « Si tu prêtes de l’argent à un compatriote, à l’indigent qui est chez toi, tu ne te comporteras pas envers lui comme un prêteur à gages, vous ne lui imposerez pas d’intérêts » (Ex 22, 24).
-Dans le Deutéronome, le législateur biblique va même plus loin : « Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, qu’il s’agisse d’un prêt d’argent, ou de vivres, ou de quoi que ce soit, dont on exige intérêt. À l’étranger, tu pourras prêter à intérêt, mais tu prêteras sans intérêt à ton frère, afin que Yahvé ton Dieu te bénisse en tous tes travaux, au pays où tu vas entrer pour en prendre possession » (Dt 23, 20-21).
-Dans le levitique « Si ton frère a des dettes et s’avère défaillant à ton égard, tu le soutiendras, qu’il soit un émigré ou un hôte, afin qu’il puisse survivre à tes côtés. Ne retire de lui ni intérêt ni profit ; c’est ainsi que tu auras la crainte de ton Dieu, et que ton frère pourra survivre à tes côtés. Tu ne lui donneras pas d’argent pour en toucher un intérêt, tu ne lui donneras pas de ta nourriture pour en toucher un profit » (Lv 25, 35-37)
-« tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » et le passage de l’évangile de Mathieu « donne à qui te demande et ne te détourne pas de qui veut te faire un emprunt. »
-« Prête gratuitement, n’espère rien en retour. » (Luc 6:35)
Deux conciles ont condamné l’usure et le prêt à intérêt, un en 1315 et un en 1532.
En 1745 le Pape Benoit XIV interrogé sur les « intérêts » répond qu’ils sont illicites quelques soient le taux appliqué, car l’argent n’est pas productif en soi; il ne peut-être loué et donc on ne peut sans injustice récupérer plus qu’on a prêté puisqu’on a pas travaillé pour cela.
Il rappel que l’usure et l’avarice sont des vices.
Par la suite seul les Rois de France vont rester fidèle à cette doctrine de l’église alors que dans les pays protestants, la doctrine de Calvin suit les gouvernements qui ont légitimé le prêt à intérêt.
Les lumières vont s’attaquer à la position de l’église qu’ils jugent archaïque, faisant du taux d’intérêt un loyer parfaitement légitime.
Le 03/12/1789 la révolution française légalisera le prêt à intérêt abolissant ce que les rois de France avaient défendu.
Le 6 Floréal an 2 la convention décrète que l’argent est une marchandise comme une autre et qu’on peut la louer.
Les Chrétiens français se sont alors trouvés dans une situation conflictuelle entre deux autorités morales: l’église et l’état.
En 1795 l’évêque de Vienne interroge le magistère à ce sujet qui lui répond le 12/08/1795 que l’intérêt reste interdit fidèle à la tradition catholique.
Par la suite la pratique de l’intérêt va finir par être tolérée par l’église du fait de sa généralisation et des besoins en capitaux utiles au développement économique mais elle ne sera jamais légitimée et en 1889 le magistère indiquent aux confesseurs qu’ils peuvent absoudre sans conditions ceux qui recourent au prêt à intérêt ce qui laisse entendre que l’intérêt reste un vice et un péché duquel il faut se confesser afin d’en être absout.
En 1891 Léon XIII s’en prend à ceux qui pratiquent « une usure dévorante » c’est à dire avec des taux d’intérêt élevés exploitant ainsi les plus démunis, il condamne ces taux d’intérêt trop élevés qui résultent de la cupidité et de l’avarice.
Il rappelle que l’église est la protectrice des plus pauvres.
Le Concile de Vatican souligne l’intérêt du bien commun mais ne tranche toujours pas la question des intérêts.
Le pape Paul VI en 1967 publie une encyclique condamnant l’impérialisme international de l’argent et rappelle que nul ne pourra vraiment aider les pays en voie de développement en les accablant de dette trop dure à rembourser à cause des taux d’intérêts élevés.
En conclusion l’église était ferme et catégorique quant à l’interdiction de l’intérêt et de l’usure, puis face à sa généralisation elle insista sur le rôle d’assistance de l’église aux démunis et la gravité de l’avarice et critiqua l’impérialisme de l’argent, elle a pour ainsi dire toléré l’intérêt sans jamais le légitimer.
Quant aux textes bibliques justifiant son interdiction :
La loi juive interdit l’intérêt mais l’interdit ne concerne que « son frère » ainsi prêter à autres que « son frère » de religion est autorisé, Jesus s’opposa à cette pratique comme le cite Mathieu dans son évangile quant il a dit « donne à qui te demande et ne te détourne pas de qui veut te faire un emprunt. »
Dans le « notre père » il est dit « pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons a ceux qui nous ont offensés » en latin on prononce « et dimítte nobis débita nostra, sicut et nos dimíttimus debitóribus nostris »
ce qui traduit littéralement signifie : « remettez nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous ont emprunté » ainsi celui qui effacera les dettes à qui lui emprunte sera pardonné.
Ce passage du « notre père » est expliqué par Jesus dans la parabole du serviteur impitoyable :
Matthieu 18:21-35 : Alors Pierre s’approcha de lui, et dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ? Jésus lui dit : je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à septante fois sept fois.
C’est pourquoi, le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs. Quand il se mit à compter, on lui en amena un qui devait dix mille talents. Comme il n’avait pas de quoi payer, son maître ordonna qu’il fût vendu, lui, sa femme, ses enfants, et tout ce qu’il avait, et que la dette fût acquittée. Le serviteur, se jetant à terre, se prosterna devant lui, et dit : Seigneur, aie patience envers moi, et je te paierai tout. Ému de compassion, le maître de ce serviteur le laissa aller, et lui remit la dette. Après qu’il fut sorti, ce serviteur rencontra un de ses compagnons qui lui devait cent deniers. Il le saisit et l’étranglait, en disant : Paie ce que tu me dois. Son compagnon, se jetant à terre, le suppliait, disant : Aie patience envers moi, et je te paierai. Mais l’autre ne voulut pas, et il alla le jeter en prison, jusqu’à ce qu’il eût payé ce qu’il devait. Ses compagnons, ayant vu ce qui était arrivé, furent profondément attristés, et ils allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. Alors le maître fit appeler ce serviteur, et lui dit : Méchant serviteur, je t’avais remis en entier ta dette, parce que tu m’en avais supplié ; ne devais-tu pas aussi avoir pitié de ton compagnon, comme j’ai eu pitié de toi ? Et son maître irrité le livra aux bourreaux, jusqu’à ce qu’il eût payé tout ce qu’il devait. C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne à son frère de tout son cœur.
La parabole indique que Dieu pardonnera nos offenses comme nous avons nous mêmes pardonné et dans le texte biblique l’offense est la dette.
Ainsi l’église condamne l’intérêt, enjoint le partage et la charité, enseigne que celui qui pardonnera à celui qui emprunte sera pardonné, l’enseignement de l’église est l’absolution des dettes et s’oppose à la pratique de l’intérêt.