L’esprit de la loi

⁃ Le principe selon lequel elle est obligatoire n’est pas un principe individuel qui doit rester circonscrit dans la sphère privée, comme dans la conception laïque, c’est un principe collectif représenté par la société musulmane dans le milieu matériel dans lequel elle vit.

⁃ L’Islam n’est pas seulement un ensemble de préceptes religieux et moraux d’ordre individuel, mais c’est aussi un ensemble de préceptes légaux relatifs au domaine public et à la gestion de la société humaine.

⁃ Un individu ne peut être coupé sur le plan de sa psychologie en deux entités, une qui appartiendrait au domaine publique et l’autre au domaine privé, de sorte que dans l’un, il adhère aux valeurs qu’il veut et dans l’autre il n’y adhère pas.

⁃ Les valeurs et la morale auxquelles adhèrent l’individu le suivent partout et sont indissociables de son être, qu’il se trouve dans le domaine public ou privé. (P21)

⁃ La minorité fait partie intégrante de la majorité, elle détermine l’identité de la société.

Mais il n’est pas possible ni imaginable que son influence et sa présence effective, d’un point de vue sociologique, l’emportent sur l’influence et la présence effective de la majorité.(p23)

⁃ Le récit de l’émigration du Prophète (saw) à Medine pour édifier la première société islamique conforme aux objectifs et aux buts de l’Islam, a engendré une action politique sans équivalent dans l’histoire de l’humanité, une société fondée sur le principe de l’engagement, de la coexistence, du respect des particularités des membres de la société et sur la protection de leurs droits.

Ainsi les juifs ont eu le droit de se conformer à leurs lois religieuses et furent considérés comme une communauté religieuse avec ses particularités, ne faisant pas partie de la communauté musulmane mais faisant partie de la communauté politique de la société islamique.(p24)

⁃ La société politique de Medine a pu accepter et intégrer en son sein les groupes opposés aux décisions politiques du Prophète, parmi les hypocrites, les bédouins et autres.

⁃ Ce fait est inédit dans l’histoire des civilisations humaines précédentes.

On n’a jamais rapporté que les souverains perses, byzantins ou égyptiens aient accepté et intégré leurs opposants comme l’a fait la cité du Prophète. (P25)

⁃ Ainsi l’observance par la société musulmane des principes et des valeurs de la shari’a et sa volonté de la matérialiser dans la sphère publique, ne signifie pas oppression et tyrannie contre les minorités non musulmanes ni la négation de leurs droits.

Au contraire la loi islamique, reconnaît et préserve leurs droits.(p25)

⁃ « L’application de la shari’a » est un slogan moderne produit par la situation politique qui existe depuis la chute de l’empire Ottoman, la fin de la colonisation et l’édification des États Arabes modernes et la suppression de certains préceptes de la shari’a qui s’en sont suivis.(p31)

⁃ Une des causes de l’incompréhension et de l’ambiguïté qui règnent autour de la notion d’application de la shari’a vient du discours réducteurs de certains qui n’évoquent à son sujet que le chapitre des peines au détriment de ses grands principes que sont l’instauration de la justice sociale, la fin de l’injustice et de l’oppression… (P32)

⁃ Ainsi un état qui appliquerait les peines légales mais pratiquerait la dictature et l’oppression, violerait les libertés, serait corrompu…serait un état appliquant la shari’a alors que tout l’esprit de celle ci et ses buts y sont absents. (P33)

⁃ Ibn Taymiya disait « les affaires des hommes vont toujours mieux quand la justice est mêlée à l’erreur que quand l’injustice est mêlée à la vérité.

C’est pourquoi on a dit qu’Allah assiste un état juste même mécréant alors qu’il n’assiste pas un état injuste, fut il musulman.

On a dit aussi que ce monde perdure dans la justice et la mécréance, alors qu’il ne perdure pas dans l’injustice et l’islam.

La justice est le principe de tout.

Si les affaires de ce monde sont établies avec justice, elles se maintiendront, même si les gestionnaires de ces affaires n’en tirent aucun bénéfice dans l’au delà.

Si par contre les affaires de ce monde sont établies de façon injuste, elles ne dureront pas, même si leurs gestionnaires tirent le bénéfice de leur foi dans l’au delà. » (majmu’ Al fatawa 28-146) (p35)

⁃ Ibn Al Qayim disait « Allah a envoyé Ses Messagers et a révélé Ses livres afin que les hommes observent l’équité, pour laquelle les cieux et la terre ont été édifiés.

Partout où se manifestent les signes de la vérité et les preuves de la raison, là est la loi d’Allah, là est Sa religion et là est Son agrément. » (i’lam Al muwaqqi’in 4/273) (p36)

⁃ Tout ce qui contribue à donner à l’homme sa dignité ou la concrétiser ou à la renforcer, tout ce qui constitue une utilité ou une amélioration sur la terre relève de la shari’a et constitue un moyen d’en établir les fondements.

Toute œuvre qui vise à écarter l’injustice, l’oppression, la tyrannie et l’asservissement, tout ce qui supprime ou empêche la corruption et le préjudice sur la terre, entre dans le cadre de la shari’a. (P41)

⁃ Ahmad Ar Risuni a dit « l’attestation de foi est le sommet de la foi et de l’islam, et l’extrémité des branches qui leur sert de ramifications, dont les plus petites sont l’action de dégager les chemins publics de tout ce qui gêne le passage et les moyennes, le sentiment de pudeur.

Autrement dit, nous sommes au devant d’une construction globale qui met en jeu 3 éléments:

⁃ les points dogmatiques et leurs fondements

⁃ Les comportements moraux

⁃ Les relations sociales et les préceptes pratiques

A l’intérieur de ces 3 éléments s’organise la totalité des composantes de la foi et de la shari’a. (P43)

⁃ Ahmad Risuni dit « la religion qui est pratiquée sans pression ni contrainte est la vraie religion agréé par Allah.

Quant au reste il ne s’agit que d’un système séculier et des décisions gouvernementales.

Ce qui est pratiqué librement et volontairement est apprécié et plus durable alors que ce qui est imposé et accompli sous la contrainte est détesté, purement formel et sera abandonné à la première occasion.

(P46-47)

⁃ La shari’a est un système global et complet auquel les musulmans doivent se référer, les peines sont indissociables des lois de l’islam et ont été établies pour des finalités grandioses, mais quelle est leur place dans le système législatif islamique ou bien même dans tous les systèmes législatifs à travers le monde?!

Le premier objectif et la finalité essentielle de tout système législatif est de définir les droits et devoirs de chacun afin de garantir la sécurité, la dignité et la justice.

Puis vient après cela le chapitre des peines afin de protéger ces droits et les préserver contre tout abus.

Le volet pénal vient secondairement afin de dissuader et protéger.

(P51)

⁃ Ibn Taymiya disait « la totalité des sanctions prescrites, bien qu’elles constituent à l’origine un mal plus grand, incarné par les crimes.

En effet il n’est pas possible de remédier à ce grand mal autrement que par un autre mal, moins grand que lui. » (majmu’ Al fatawa 20/48) p52

⁃ On ne peut donc pas définir le code de la shari’a uniquement par ses peines légales, on doit le définir par ses finalités, ses principes et ses valeurs qui permettent à la société humaine de s’organiser et d’établir et grâce auxquelles l’homme obtient son bonheur et sa dignité ici bas ainsi que son salut dans l’au delà.

⁃ Or les objectifs et les finalités de la shari’a n’apparaissent que s’ils sont appliqués dans un système global et complet et non uniquement dans sa partie pénale que l’on érigerait en symbole de l’application de la shari’a, tout en supprimant les finalités principales. (P52)

⁃ Pour illustrer cela, citons la peine d’amputation pour le voleur, celle ci ne peut s’appliquer que si le voleur à une vie digne et acceptable, quand la famine fit rage Umar alors calife estima que les conditions n’étaient pas remplies pour appliquer la peine au voleur et qu’il ne serait pas juste étant donné l’insuffisance des vivres de reprendre pénalement un indigent qui s’est emparé du bien d’autrui pour se nourrir ou nourrir sa famille.

⁃ Les peines ne peuvent donc être appliquées que dans un système d’application de la shari’a global, conforme aux finalités de l’islam.

(P52)

⁃ Ainsi l’appel lancé à l’application de la shari’a se limiterait il à l’application des peines et ne concernerait pas l’établi de la justice sociale, l’existence décente…

⁃ La shari’a est elle venue pour couper les mains et fouetter les échines ou pour établir la justice entre les hommes et leur garantir une existence digne?

(P56)

⁃ La shari’a est un acte divin, son application un acte humain.

(P63)

⁃ Elle est pure et exempte de toute erreur alors que son application n’est pas exempte d’erreur.

La shari’a est une donnée objective tandis que son application est une donnée subjective et relative.

L’islam en tant que religion divine est un idéal tandis que l’instauration et l’application de l’islam par les hommes, relèvent de la réalité.

(P64)

⁃ La shari’a se compose d’une dimension législative qui doit être soutenue par le pouvoir politique et exécutif et une dimension dogmatique et morale qui relève du choix personnel et qui ne doit pas être imposée.

⁃ Les « droits de Dieu » qui désignent les devoirs moraux individuels et les « droits des hommes » qui désignent les devoirs légaux et sociaux.

(P77)

⁃ Il faut nécessairement dissocier ces deux catégories de préceptes lorsque l’on parle de leur rapport avec le pouvoir et l’action politique.

⁃ les préceptes qui religieux, individuels et moraux

⁃ ceux qui sont religieux, collectifs et légalement contraignants

La première catégorie n’est pas légalement contraignante ainsi l’état ne peut pas s’en mêler en imposant quoi que ce soit (exemple le pèlerinage)

La seconde catégorie est légalement contraignante et l’état doit intervenir pour faire respecter son application (exemple la zakat…)

(P78)

⁃ Le premier précepte à une responsabilité spirituelle et a rapport à l’au delà, alors que le second à une responsabilité à la fois temporelle et spirituelle.

⁃ L’imam Al Qarafi dit « sache que le pouvoir ne se mêle aucunement des préceptes cultuels et que ce domaine relève de la consultation juridique.

Ainsi, tous les actes cultuels qui sont à la discrétion du fidèle relèvent uniquement de la consultation juridique.

Il n’appartient pas au dirigeant de décider que telle façon de prière est valable ou non… » Al furuq 4/38

(P80)

⁃ Ibn Taymiya dit «  le jugement du dirigeant ne sera appliqué qu’en matière de peines légales et de droits, tels que le meurtre, la calomnie ou le vol.

⁃ Il ne le sera pas en ce qui concerne le commentaire du Coran, le hadith, le fiqh…car certains chapitres de ces sciences font l’objet d’un désaccord.

Si la communauté tombe en désaccord sur le sens d’un verset…la seule décision du Hakim ne suffit pas pour qualifier l’un des deux avis de recevable et l’autre non. En effet, le jugement du Hakim n’est exécutoire qu’en matière de plaintes et de différents et non pour le reste. » majmu’ Al fatawa 3/238-240

(P81)

⁃ Les préceptes de la shari’a sont des actes d’adoration et des actes moraux, mais tous ne sont pas forcément juridiques.

⁃ L’interdiction de la calomnie est un précepte moral et en même temps social et juridique c’est pourquoi il tombe sous le coup de la loi car il a un lien avec les droits d’autrui.

Si le coupable a agit en privé il en responsable devant Allah mais en aucun cas le pouvoir politique et exécutif ne peut l’espionner pour ensuite le sanctionner.

Si il agit en public, il en est responsable au devant l’état et son acte tombe sous le coup de la loi.

(P82/83)

Résumé du livre « la souveraineté de la Umma passe avant l’application de la shari’a »