Voici la retranscription complète du texte figurant dans l’article intitulé « Le syndrome islam », publié dans Révolution Africaine, n° 1361, du 30 mars au 6 avril 1990, signé Wahiba Mahla :
CULTURE — FRANCE
Le syndrome islam
« Le chant du muezzin va remplacer dans les campagnes françaises la cloche de nos églises », cette affirmation du leader du F.N., J.M. Le Pen date de 1987, nous sommes désormais à l’aube d’une nouvelle décennie ; on reprend les mêmes et on recommence, me direz-vous, et bien non ! Après l’affaire des mosquées, place à l’affaire des foulards, qui paralyse l’ensemble des politiques français. Que font donc ces fameux hommes politiques français ? On se le demande…
Le panorama politique est à l’image du temps qui sévit sur le territoire : inondations, le brûlot à couper au couteau, ne vous permettez surtout pas d’y mettre un grain de sel, certaines fautes s’entrechoqueront sur les chaînes à l’automne pour vous prouver que ce phénomène est nouveau et sans précédent. Les auteurs vous démontreront à travers une analyse du subconscient collectif que les mots clefs de l’histoire de France sont les suivants : immigration, islam, musulmans, arabes surtout, « les intégristes, les fanatiques, quoi ! »
Jamais la presse occidentale n’aura fait couler autant d’encre sur les musulmans et ainsi contribué à entretenir un climat de tension et installer l’atmosphère de phobie islamique, venant alimenter le moulin des politiciens mal en verve ou en déroute. L’hebdomadaire Le Nouvel Observateur N° 1300 du 5 octobre 1989 archivait son gros titre de sa couverture : « Musulmans. Juifs. Chrétiens (terreur dans l’ordre S.V.P.) », parlant d’un « menace religieuse ». L’événement du jeudi N° 9 de janvier 1990 fait sa part de permis de peur avec : « France. Faut-il avoir peur de l’islam ? », la religion devient en quelque sorte dans un pays laïc la source la plus d’ignorance crasse.
Les stéréotypes utilisés, longtemps usités par l’extrême droite, sont aujourd’hui repris par des hommes de gauche lui ayant perdu certaines de leurs convictions de base. Désormais on assiste à un transfert de l’idéologie du rejet dans la classe politique traditionnelle. Une des dernières manifestations de ce malaise est révélée par l’affaire du foulard islamique, à l’origine d’une crise de l’école laïque.
Cela nous est d’ailleurs confirmé par l’hebdomadaire La Vie dans une conférence de presse donnée par l’Observatoire de l’islamophobie en France, à l’occasion de la parution de leur bulletin N° 3 : « Ce n’est pas le foulard islamique, ce n’est pas l’islam, ce n’est pas la religion, ce n’est pas la République, mais ce sont les représentations, les images, les fantasmes. » (La Vie, 26 octobre 1989.)
J. Julliard dans Le Nouvel Observateur N° 1307 affirme également : « l’argument anti-islamique est de longue date un alibi commode pour habiller de respectabilité la haine de l’Arabe et le refus de l’accueillir… »
La montée de cette « intolérance » envers l’islam au sein des diverses tendances politiques françaises est bien évidemment indissociable du contexte politique international :
L’extermination des Chrétiens du Liban, le vide du monde arabe et musulman dans les provinces soviétiques à dominante musulmane, le spectre agité des fondamentalismes islamiques, la « diabolisation » de l’islam, phénomène islamique dans le monde. En France, les Versets Sataniques de Salman Rushdie, la fatwa, les bombes, les massacres de Vénissieux, les collégiens voilées de Creil et la question de l’islam en France deviennent l’affaire de l’État et sont transformés en crises de société.
Si l’on ajoute à cela les tensions sociales économiques et l’ampleur de la crise dans le système scolaire français et l’obsession sécuritaire, on comprend que ce cocktail est loin d’être une réussite. Les attentats de Paris ont trouvé un écho favorable dans la classe politique et dans la presse française. Une bonne partie de la presse a très rapidement stigmatisé, mis en cause les Arabes, et en particulier les Algériens, sans preuve, sans retenue, pour satisfaire on ne sait trop quel besoin de bouc émissaire. La « grande presse » s’est trouvée un nouveau thème porteur. C’est ainsi que les libéraux du Matin à Libération, jusqu’aux républicains du Figaro ont relayé une nouvelle bouffée médiatique signataire d’une lettre ouverte adressée au ministre de l’Éducation Lionel Jospin, considérée comme un capitulard : nous assistons aux mêmes comportements à chaque fois qu’il s’agit de l’islam. Les réactions et les propos tenus à ce sujet n’étonnent guère. Le Jospin retroqua à ces critiques par une déclaration que l’on cite à l’envie : « La neutralité est le fondement de la liberté. Le principe laïc : c’est l’autorité du savoir et de la loi. Il est supérieur au dogme, à l’obscurantisme, à l’hérésie, à la pauvreté intellectuelle et à la théocratie. »
Alors que l’islam aujourd’hui en France, c’est-à-dire la trouille de l’islam ! Deux exemples symptomatiques : le ministre de l’intérieur français s’est adressé aux responsables musulmans dans des ambages : à cette affaire du foulard répond l’attache de l’Éducation, le ministre sus nommé : « il nous faut interroger sur l’identité de la gauche » ; l’islam devient un problème et menace à l’égard de l’ordre établi.
Les arguments les plus fallacieux sont avancés par la presse et certains hommes politiques pour accréditer l’idée d’un islamisme envahissant et conquérant. Une certaine presse française n’a pas hésité à titrer : « La France, nouvel Iran » ou encore « L’école française est menacée par le foulard islamique. »
L’un des derniers propos tenus à l’égard de l’islam en France nous vient d’un universitaire, auteur de plusieurs ouvrages sur l’Islam : Daniel Youssef Leclerc, proche du régime d’Arabie Saoudite, vice-président de la Fédération nationale des musulmans de France, organisation de manifestations spectaculaires, a pour président un « franco-tunisien », Aboub Farid Gabrani. La fédération nationale des musulmans de France dont le fondateur Daniel Youssef Leclerc préconise un islam inspiré d’Arabie Saoudite, chargé de donner une forme de laïcité à l’islam. Il s’est dit inquiet du climat de crispation dans les rapports de l’État à l’égard de l’islam : « il s’agit là d’une montée de la xénophobie dans la société française qui jusqu’à présent ne s’est réellement jamais posée le problème de l’islam. »
« Il est indispensable donc de lever le voile sur ce syndrome, cette obsession de l’islam, cette peur, cette haine… » Occulter les droits de l’homme, du musulman, de la femme, du frère et du martyr…
« Occulter cette pluralité de la mémoire collective, ce passé islamique, cette richesse d’une civilisation millénaire ? ? ? Mais, La France, cette patrie de la tolérance, de la démocratie et des droits de l’homme, n’a-t-elle pas elle-même conquis, colonisé, occupé, civilisé — selon la formule — les pays arabes ? »
La religion musulmane ne fait pas exception à la règle de suspicion. Les femmes voilées ne sont qu’un symptôme de la psychose collective. Les « Beurettes » seraient donc délocalisées de l’imaginaire colonial pour être expulsées de l’imaginaire républicain.
La sémantique utilisée à tort et à travers à l’égard de l’islamisme et des musulmans est l’expression du malaise de la société française à l’égard de la question de l’intégration. La laïcité comme rempart à la peur. La République veut-elle vivre dans le mythe ? Mais il n’est plus possible de cacher la réalité. Il ne s’agit pas d’un problème de foulard, ni de voile mais de reconnaissance, de tolérance, de respect, de liberté de culte.
Lorsque les hommes politiques ne peuvent résoudre les problèmes économiques, ils essaient de détourner l’opinion publique, en utilisant l’islam, un islam perçu au travers d’un prisme déformant de clichés et d’ignorance.
Wahiba MAHLAL
