René Guenon écrit dans « orient et occident »
Chapitre civilisation et progrès
La civilisation occidentale moderne apparaît dans l’histoire comme une véritable anomalie, elle s’est développée dans un sens purement matériel et ce développement monstrueux, dont le début coïncide avec ce qu’on appelle la renaissance, à été accompagnée d’une régression intellectuelle, au point que les occidentaux d’aujourd’hui ne savent plus ce que peut être l’intellectualité pure d’où leur dédain pour les civilisations orientales, et même pour le moyen âge européen.
Comment faire comprendre l’intérêt d’une connaissance toute spéculative a des gens pour qui l’intelligence n’est qu’un moyen d’agir sur la matière et de la plier à des fins pratiques.
Bergson écrit « l’intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils et d’en varier indéfiniment la fabrication. »
Descartes a limité l’intelligence à la raison, or le rationalisme est impuissant pour s’élever jusqu’à la vérité absolue.
Qu’importe alors la vérité dans un monde dont les aspirations sont uniquement matérielles et sentimentales et non intellectuelles, ainsi la pensée occidentale trouve toute satisfaction dans l’industrie et dans la morale, deux domaines ou l’on se passe fort bien de concevoir la vérité.
De européens protesteront qu’ils n’en sont pas encore là, mais nous pensons surtout ici aux américains, qui en sont à une phase plus avancée, l’Amérique actuelle est vraiment l’extrême-Occident et l’Europe suivra sans aucun doute.
Mais ce qu’il y a peut-être de plus extraordinaire, c’est la prétention de faire de cette civilisation anormale le type même de toute civilisation, de la regarder comme la civilisation par excellence!
Tant de gens croient que ces idées de civilisation et de progrès sont universelles et nécessaires alors qu’elles sont réalité des inventions récente et restent ignorées par les 3/4 de l’humanité.
Le mot « civilisation » n’a pas plus d’un siècle et demi d’existence, il est entré dans le dictionnaire de l’académie qu’en 1835.
La vie des mots n’est pas indépendante de la vie des idées.
Le mot de civilisation, nos ancêtres s’en passaient fort bien, car ils possédaient la chose, tandis que la civilisation aujourd’hui n’est autre qu’un brevet que ce décerne le monde européen.
L’apparition des mots civilisation et progrès datent de la seconde moitié du 18ème siècle, c’est à dire de l’époque qui vit naître le matérialisme.
Le progrès pour le monde occidental désigne le progrès scientifique, on voit apparaître ici la dégradation de l’intelligence qui aboutit à l’identifier avec le plus inférieur de tous ses usages, l’action sur la matière en vue de la seule utilité pratique; ce soit disant progrès intellectuel n’est autre que le progrès matériel.
La plupart des occidentaux actuels ne conçoivent pas que l’intelligence soit autre chose.
Le monde moderne à proprement renversé les rapports naturels des divers ordres, amoindrissement de l’ordre intellectuel, exagération de l’ordre matériel et de l’ordre sentimental, c’est tout cela qui fait de la civilisation occidentale actuelle une anomalie, pour ne pas dire une monstruosité.
Ce que les occidentaux appellent civilisation, les autres l’appelleraient plutôt barbarie, parce qu’il manque précisément l’essentiel, c’est à dire un principe d’ordre supérieur.
De quel droit les occidentaux prétendraient ils imposer à tous leur propre appréciation ?
Ils ne devraient pas oublier d’ailleurs, qu’ils ne sont qu’une minorité dans l’ensemble de l’humanité, évidemment cette considération de nombre ne prouve rien à nos yeux, mais elle devrait faire quelque impression sur des gens qui ont inventé « le suffrage universel » et qui croient à sa vertu.
Ce qui est le plus terrible c’est leur fureur de prosélytisme, chez eux l’esprit de conquête se déguise sous des prétextes « moralistes » et c’est au nom de la liberté qu’ils veulent contraindre le monde entier à les imiter.
Le plus étonnant, c’est que dans leur infatuation, ils s’imaginent de bonne foi qu’ils ont du « prestige » auprès de tous les autres peuples, parce qu’on les redoute comme on redoute une force brutale, ils croient qu’on les admire; l’homme qui est menacé par une avalanche est il frappé de respect et d’admiration ?!
Tout ce que demandent les orientaux, c’est qu’on les laisse tranquilles, mais c’est ce que refusent les occidentaux, qui sont allés les trouver chez eux.
Il n’est qu’un moyen pour les occidentaux de se rendre supportables: qu’ils renoncent à l’assimilation pour pratiquer l’association !
Chapitre 2 la superstition de la science
L’occident actuel croit à des idées, qui ne sont pas vraiment des idées, elles sont plutôt de véritables idoles, les divinités d’une sorte de religion laïque, qui n’est pas nettement définie, qui n’est pas une religion au sens propre du mot, mais qui prétend s’y substituer et mériterait d’être appelé « contre-religion ».
La première origine de cet état de choses remonte au début même de l’époque moderne, où l’esprit anti traditionnel se manifesta immédiatement par la proclamation du « libre examen » c’est à dire de l’absence dans l’ordre doctrinal, de tout principe supérieur aux opinions individuelles.
L’anarchie intellectuelle devait fatalement en résulter, d’où la multiplicité indéfinie de sectes religieuses, de systèmes philosophiques aussi éphémères que prétentieuses, qui se traduisent par une indifférence à l’égard de la vérité et de l’erreur, ce qu’on appelle depuis le 18ème siècle « tolérance », par ailleurs les apôtres de la tolérance sont très souvent les plus intolérants des hommes.
L’ironie est que ceux qui ont voulu renverser tous les dogmes en ont créé un, qui n’est pas un nouveau dogme mais une caricature de dogme, qu’ils sont parvenus à imposer à la généralité du monde occidental, sous prétexte d’affranchissement de la pensée ils ont établis les croyances les plus chimériques qu’ont ait jamais vues en aucun temps, sous la forme de ces diverses idoles.
La science occidentale est un savoir ignorant, c’est à dire un savoir irrémédiablement borné, ignorant de l’essentiel, un savoir qui manque de principe.
Pire, elle va jusqu’à nier ce qu’elle ignore, parce que c’est là le seul moyen de ne pas avouer cette ignorance.
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L’égalité si chère aux occidentaux se réduit d’ailleurs, dès qu’ils sortent de chez eux, à la seule uniformité; le reste de ce qu’elle implique n’est pas article d’exportation et ne concerne que les rapports des occidentaux entre eux, car ils se croient incomparablement supérieurs à tous les autres hommes, parmi lesquels ils ne font guère de distinctions.
Ce que les occidentaux appellent « s’élever » il en est qui en ce qui les concerne l’appelleraient « s’abaisser » .
Chapitre 3 la superstition de la vie
Les occidentaux reprochent souvent aux civilisations orientales, leur caractère de fixité et de stabilité, qui leur apparaît comme la négation du progrès, or ce caractère indique que ces civilisations participent de l’immutabilité des principes sur lesquels elles s’appuient.
C’est parce que la civilisation moderne manque de principe qu’elle est éminemment changeante.
Il ne faudrait pas non plus confondre immutabilité avec immobilité.
L’occidental moderne apparaît comme essentiellement changeant, son état est celui d’un être qui ne peut parvenir à trouver son équilibre mais qui ne pouvant l’admettre va jusqu’à tirer vanité de son impuissance.
L’homme occidental se trouve enfermé dans un changement permanent.
Chapitre 4 terreurs chimériques et dangers réels
Certains individus élevés en Europe comme on en rencontre dans tous les pays orientaux, ayant perdu par cette éducation le sens traditionnel et ne sachant rien de leur propre civilisation, croient bien faire en affichant le « modernisme » le plus outrancier.
Ces jeunes orientaux comme ils s’intitulent eux mêmes pour mieux marquer leurs tendances, ne sauraient jamais acquérir chez eux une influence réelle; parfois on les utilise à leur insu pour jouer un rôle dont ils ne se doutent pas et cela est d’autant plus facile qu’ils se prennent fort au sérieux.
Les vrais orientaux eux ne cherchent guère à se faire connaître à l’étranger.