La doctrine de l’église sur le prêt a intérêt par le Cardinal Gousset
Tant que la législation française fut fondée sur la religion et qu’elle respectait les lois de l’évangile, l’usure fut proscrite par l’état comme elle l’a été de tous temps par l’église.
Mais cette législation s’étant sécularisée en s’isolant de la religion, les lois désormais permettent de tirer des intérêts du prêt.
Certains auteurs influencés par les systèmes du Calvinistes, pourtant qualifiés de pervers et d’impies par Benoît XIV pensent qu’il est permis de tirer un intérêt modéré à l’égard du riche et du commerçant et que la charité seule condamne l’intérêt à l’égard du pauvre, concluant que l’intérêt étant perçu en vertu de la loi civile, il n’appartient plus à la nature de l’usure.
Nous avons jugé bon d’exposer la doctrine de l’église face à ces systèmes qui favorisent la cupidité.
Chapitre premier : de la notion de prêt et des différentes espèces de prêt
On distingue deux sortes de prêts: le prêt à usage et le prêt de consommation.
Le prêt à usage est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose a une autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre individuellement telle quelle après s’en être servi.
Ce contrat n’a pour objet que les choses dont on peut user sans les détruire.
Dans ce contrat le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée; il n’en transfère que l’usage à l’emprunteur, par conséquent si la chose prêtée vient à périr sans qu’il y ait faute de la part de l’emprunteur, cette perte tombe sur le prêteur.
En effet une chose ne périt que pour celui à qui elle appartient.
L’emprunteur en recevant la chose prêtée s’oblige à la rendre telle quelle, au terme fixée par le prêteur, ce contrat qui est gratuit perd sa nature et son nom si on donne un prix pour de prêt à usage et devient alors un contrat de louage, c’est à dire un contrat par lequel une des parties livre à l’autre l’usage d’une chose, non consommable, moyennant un certains prix que celui-ci promet de lui payer.
Dans ce contrat celui qui livre la chose, demeure propriétaire et maître de cette chose, si elle vient à périr par une force majeure, c’est pour lui et non pour celui qui l’a reçue qu’elle périt.
Quant au prêt de consommation, c’est un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses, qui se consomment par l’usage et lui en transfert la propriété, le charge par celle ci de lui en rendre l’équivalent en espèce et qualité après un certain temps fixé.
Le prêt simple a pour objet des choses se consommant par l’usage (tels le blé, l’huile, l’argent…).
On distingue deux sortes de consommations: une naturelle ou physique et une civile ou morale.
La physique a lieu pour les choses qui se détruisent par l’usage qu’on en fait par exemple la nourriture.
La consommation civile ou morale désigne ce qui sans être détruit est aliéné et cesse d’appartenir au premier propriétaire, dès qu’il en a fait usage, comme c’est le cas pour l’argent par exemple dont nous perdons la propriété sitôt que vous le dépensons.
Par l’effet du prêt l’emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée.
Nous empruntons une chose pour nous en servir et donc la consommer, pour avoir le droit de la consommer et d’en disposer pour l’usage qu’il nous plait, il faut que la chose nous appartienne, le prêteur lui a droit à la valeur de la chose prêtée, il devient en prêtant créancier, mais cesse d’être propriétaire.
Le prêteur est donc affranchi de toute charge ou contribution en cas de perte, c’est ici pour l’emprunteur que la jose prêtée péri, il est donc propriétaire des choses qui lui sont prêtées.
Ainsi il est bien évident que le simple prêt diffère essentiellement du prêt à usage.
Dans celui ci on ne donne que l’usage d’une chose, dont on retient la propriété, dans le premier l’on ne peut accorder l’usage ou la jouissance d’une chose sans en transférer la propriété à l’emprunteur.
Celui qui prêt à usage se fait rendre individuellement la même chose qu’il a livréeC celui au contraire qui fait un prêt de consommation, ne peut exiger qu’on lui rende qu’une autre chose de même espèce et de même valeur.
Le prêt simple est aux risques de l’emprunteur, le prêt à usage au risque du propriétaire, qui ne peut en réclamer la valeur qu’en cas de faute du commodataire.
Le prêt de consommation lors même qu’il se fait en argent diffère également du louage, puisque ce contrat n’est distinct du commodat que par l’obligation contractée par le preneur de payer l’usage de la chose qu’on lui a cédée.
Dans le louage, le preneur n’est obligé de rendre que la même chose individuellement qu’il a louée, et si elle périt en ses mains par cas fortuit, il n’en est pas tenu et il ne doit rien rendre.
Mais dans le prêt, l’emprunteur est tenu de rendre la même somme, la même quantité empruntée quand bien même il l’aurait perdu par un cas fortuit.
Dans le louage, la diminution sensible ou non qui arrive à la chose louée, par l’usage qu’en fait celui qui l’a prise, tombe sur le maître qui l’avait louée, de manière qu’elle lui est rendue bien différente souvent de ce qu’elle était.
Mais dans le prêt, celui qui a prêté ne souffre qu’aucune diminution ou perte.
On voit par ce parallèle des caractères qui distinguent le contrat du louage de celui du prêt, ces fondements naturels rendent licites les commerces, ou l’on met une chose à profit entre les mains d’un autre.
Alors qu’au contraire celui qui prête à intérêt ou de l’argent ou des denrées, ne répond d’aucun profit à celui qui emprunte et ne le laisse pas s’assurer un profit certain, ne répond pas même de l’usage qui sera fait de ce qu’il donne et qu’au contraire encore que la chose qu’il prête vienne à périr, celui qui emprunte lui en rendra autant et en plus l’usure.
Ainsi il prend un profit sur, quant à celui qui emprunte il ne peut avoir que de la perte, qu’il prend au profit d’une chose qui n’est pas à lui et d’une chose même qui de sa nature n’en produit aucun; mais qui seulement peut être mise en usage par l’industrie de celui qui emprunte, et avec le hasard de la perte entière de tout profit et du capital, sans que celui qui prête entre en aucune part, ni de cette industrie, ni d’aucune perte. »
Ces principes suffisent pour faire comprendre que l’usure n’est pas seulement injuste pour la défense de la loi divine et par son opposition à la charité; mais qu’elle est de plus naturellement illicite, comme violant les principes les plus justes et les plus sûrs de la nature des conventions et qui sont les fondements de la justice des profits, dans tous les commerces.
De même le prêt est distinct du contrat de société dans lequel le bénéfice et la perte sont communs aux associés, une convention qui donnerait à l’un des associés la totalité des bénéfices serait nulle, idem si elle stipulait l’affranchissement de toutes contributions aux pertes.
Ce serait donc aller contre les notions fondées sur l’équité que d’assimiler l’intérêt du prêt au profit qu’on tire d’un contrat de société.
De plus considérant l’emprunteur comme étant maître de la chose prêtée et seul chargé de tous les risques, on établira que le profit toujours incertain doit lui appartenir.
Car c’est la règle des profits à venir, pour y avoir part il faut s’exposer aux événements des pertes qui peuvent arriver, au lieu des profits que l’on espère.
Et le pacte d’avoir part à un gain futur, renferme celui de ne point profiter s’il n’y a pas de gain et de perdre même, si la perte arrive.
Les lois humaines substituent dans toute leur vigueur, indépendamment de la connaissance du législateur qui ose contester au Seigneur le droit d’être obéi.
L’homme sensé se soumet à la loi de Dieu et ne cherche pas à justifier ce que Dieu condamne et défend comme injuste.
Or pour connaître la loi divine au sujet de l’usure on doit s’en tenir à la doctrine des mères de l’église.
Chapitre deuxième: de la notion du prêt à intérêt
Le prêt à intérêt est un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre certaines choses qui se consomment par l’usage, à la charge de l’emprunteur d’en rendre autant de même espèce et qualité, d’après un certain terme et en outre de payer un excédant qu’on appelle usure.
On distingue deux sortes d’intérêts; le compensatoire et le lucratif.
Le compensatoire est perçu en dédommagement de la perte causée par le prêt, en indemnité des bénéfices que le prêteur tire de son argent ou autre.
Cet intérêt n’est pas un profit mais une indemnité.
Le lucratif est celui qu’on exige comme une récompense, comme le prix du prêt, on l’appelle proprement usure.
Les théologiens s’accordent pour dire que tout profit du prêt, tout intérêt perçu en vertu du prêt, est défendu par l’église, l’intérêt ne peut être considéré comme un juste dédommagement de la perte ou du profit, que l’on souffre en se dépouillant de son argent en faveur d’un autre.