L’exil d’Abdelkrim Al Khattabi à la réunion

Abdelkrim Al Khattabi vécu de 1926 à 1947 en exil à la réunion après avoir combattu dans le Rif de 1921 à 1926.

Par la suite il vécut au Caire à partir de 1947 où il créa la ligue arabe et le comité de libération pour le Maghreb arabe.

Il est né en 1882 au sein d’une famille berbère des Bani Ouriaghel.

Son père est le caïd des caïds, sa juridiction s’étend sur tout le Rif.

Après des études traditionnelles il entra dans la prestigieuse université Al Quaraiuiyine de Fès, puis s’installa à Melilla où il fut instituteur et cadi.

Il souleva les berbères contre les espagnols afin de libérer le Rif, ainsi débuta l’une des premières guerres anti-coloniale, pendant 4 ans les espagnols essayèrent de faire face seuls mais sans succès, l’Espagne fit appel à la France qui craignait la contagion de la rébellion dans les territoires sous mandat français plus au sud.

Sous la menace de bombardements de gaz toxique, tuant les civiles, Abdelkrim dû se rendre au Français, il fut alors exilé pendant 21 ans à la réunion jusqu’à sa mystérieuse évasion lors de l’escale à porte Said en Égypte du bateau le ramenant en France.

Il continua depuis l’Égypte sa lutte anti coloniale et mourut au Caire en 1963.

Contexte géopolitique

Le Maroc fut convoité par de nombreuses puissances coloniales (la France, l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie).

La France signa en 1912 un traité de protectorat avec le sultan Moulay Hafid, la partie méditerranéenne convoitée par les espagnols n’entra pas dans ce traité.

Ces derniers ayant perdu leurs colonies dans le sud américain et n’ayant aucune colonie en Afrique s’obstinèrent à coloniser le Rif.

En 1925 Abdelkrim combattit les forces françaises dirigées par Philippe Pétain à la tête de 200 000 et de l’armée espagnole composée de 250 000 soldats.

De 1925 à 1926, des avions équipés de gaz chimique bombardent des villages entiers.

Face aux importants massacres de civils et sans aucun soutien international, Abdelkrim est contraint de se rendre en échange que les civils soient épargnés.

Il n’en sera rien, le soulèvement sera puni par des bombardements de villages entiers faisant des marocains les premiers civils gazés massivement de l’histoire.

Le nombre de civils morts est estimé à 150 000 en l’espace d’un an, à ce jour 80% des patients atteints de cancers du larynx sont originaires du Rif.

Le 27/06/1926 Abdelkrim se rend et est transféré à Fez.

Le sultan Moulay Youssef ne le veut pas au Maroc et propose son exil au Sénégal, il sera finalement exilé à la réunion avec sa famille au grand dam des espagnols qui voulaient l’exécuter, le conflit entre les deux pays quant à son sort fut tranché par les anglais qui suggèrent son exil.

Il est accompagné durant son exil de 30 personnes, ses deux femmes, ses 5 enfants, sa mère…

La réunion permet l’éloignement et l’isolement, sa population est accueillante c’est pourquoi la France y exila plusieurs personnalités politiques.

Son arrivée annoncée de nombreux réunionnais éprouvent un sentiment de fierté à l’idée de l’accueillir, avant lui le sultan Said Ali des Comores y avait été exilé, la reine malgache Ranavalona III et le roi d’Annam (vietnam) en 1919.

Après avoir débarqué, sa femme mis au jours un petit garçon, idriss qui sera le premier marocain créole.

Abdelkrim qui était calomnié en Europe de tous les noms, sauvage, sanguinaire…fut acclamé à son arrivé, la presse et la population reconnaissant son esprit chevaleresque et humain.

Il fut logé avec les siens au château Morange.

Abdelkarim comprend le français mais ne le parle pas, il est vêtu de son vêtement traditionnel à la différence de son frère qui est vêtu à l’européenne et parle parfaitement français puisqu’il a fait ses études en France.

Il est demandé par les autorités à Abdelkrim de ne pas fréquenter les communautés musulmanes de l’île de peur qu’ils deviennent un chef spirituel pour eux, l’émir accepte.

En France, la presse reproche aux autorités de l’avoir logé dans un chateau et non de l’avoir emprisonné, lui qui a fait coulé tant de sang, logé dans un chateau dans les tropiques, il fait bon d’être l’ennemi de la France, titre les journaux.

Abdelkrim profite de son séjour pour écrire ses mémoires de guerre qui seront éditées en 1926.

Le château est en mauvaise état et peu entretenu, la famille manque de confort et les maladies comme le paludisme sont rendus dans la zone.

Surveillé 24h/24 et libre uniquement dans son jardin, abdelkrim fait les cents pas, las de ne pouvoir sortir de sa résidence surveillée.

Il n’a droit à aucuns livres, aucunes revues…l’isolement absolu.

Afin d’entretenir un climat de peur à l’encontre de l’emir, les autorités locales expliquent que la dernière syllabe de son nom « krim » évoque le « crime » et inspire donc la peur du personnage alors qu’en arabe ce mot signifie généreux.

Très vite se propage à son sujet une mauvaise réputation, qui permet de tenir à distance la population mais rapidement ces clichés vont disparaître.

Pendant 10 ans lui et sa famille n’auront de contact avec personne, leurs activités sont la lectures des explications du Coran ou de hadiths qu’ils ont apporté avec eux dans leur exil.

Les ressources financières manquent pour subvenir aux groupes qui est passés depuis à 41 personnes, surtout que la vie à la réunion est très chère.

Abdelkrim doit payer la location du chateau ainsi que des frais médicaux importants, ses demandes d’aide sont refusées, on lui répond sinon est un indigène qui s’est rebellé et qu’il est hors de question d’augmenter sa pension.

En 1929, le château est déclaré insalubre, Abdelkarim et sa famille sont relogés dans une autre résidence et leur pension revue à la hausse.

La vie s’organise pour le groupe, le frère d’Abdelkrim enseigne aux enfants le français, lui l’arabe et la religion.

Il se lit d’amitié avec le capitaine vérimes chargé de sa surveillance.

Par la suite il va développer des liens de fraternité avec les familles indo-musulmanes et à partir de 1934 les réunionnais viennent régulièrement le visiter et lui rendre de nombreux services.

La plupart sont de grands commerçants, au départ refoulés par les autorités et par Abdelkrim qui avait pris l’engagement de ne pas prendre contact avec les musulmans locaux, les relations finissent par ce faire et il devient même leur professeur d’arabe et de religion, les dix années d’isolement totale passée, la situation s’est améliorée et les liens avec les communautés musulmanes sont désormais créés et tolérés.

Malgré tout, abdelkrim s’ennuie et veut rentrer chez lui.

La surveillance relâchée le voilà invité avec sa famille à toutes les tables.

Mais l’Espagne apprenant par la presse la vie libre de leur grand ennemi menace la France, afin de ne pas créer d’incident diplomatique sa surveillance est à nouveau renforcée et les visites et les sorties interdites.

Son exil devant durer que 6 ans, il fait régulièrement des demandes de rapatriement, le capitaine Verines soutient sa demande le 15/06/1934 mais celle est à nouveau refusée car la France a un engagement vis à vis de l’Espagne.

Abdelkrim s’ancre un peu plus sur le sol réunionnais, il achète une maison et une voiture avec ses économies amenées du Maroc, il effectue même son premier baptême de l’air.

Ses activités sont toujours autan décriées dans la presse française dont les photos de son baptême de l’air et de sa liberté dans les îles passe mal.

Tous les matins, il faisait de la marche, il recevait régulièrement ses amis indo- musulmans à qui il offrait le thé et le couscous, les années étaient passées et sa tenue n’avait pas changé, il n’avait pas abandonné son bournous et son turban.

Chaque jour il enseignait à ses enfants l’arabe et le Coran qu’il connaissait par cœur, il enseignait également cela à ses coreligionnaires indiens, nombreux étudièrent auprès de lui.

Ses garçons étaient scolarisés en ville, ses filles restaient à la maison.

Ses garçons aimaient jouer au foot avec les créoles et étaient parfaitement intégrés sur l’île, libre de leurs déplacements à la différence de leur père ils participaient à de nombreuses activités sur l’île.

Personne de l’île ne vit jamais ses femmes, celles ci étaient voilées et échappaient à la vue de tous, à l’exception des femmes indo-musulmanes chez qui elles étaient parfois invitées.

Durant la guerre du Rif il avait demandé le soutien des communistes, qui l’avaient alors soutenus, arrivé à la réunion il continua d’entretenir des liens avec en la personnels Raymond Vergès, leader du Parti communiste réunionnais, à qui il rendait fréquemment visite, discutant de l’histoire, du colonialisme…

Les années de méfiance envers sa famille étaient passées, toute l’île les appréciaient et les avaient acceptés, ils étaient même fiers de les avoir à leurs côtés dans l’île.

Le capitaine Vérines chargé de sa surveillance, passa 11 ans à ses côtés, une véritable confiance s’installa entre les deux hommes, catholique pratiquant, le capitaine s’intéresse alors à l’islam.

En 1937 il quitte ses fonctions pour la métropole et sera fusillé par l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale.

Sa mère atteinte du paludisme depuis 1926, s’éteint le 03/02/1938, Abdelkrim est très affecté, sa mère était sa conseillère lors de la guerre du Rif, elle n’avait jamais reçu ses filles depuis son exil, il fut en colère car il voulait que sa mère meurt au Maroc et non en exil, il demanda le rapatriement du corps, sa requête est acceptée, mais faute de moyen Abdelkrim ne peut rapatrier le corps, elle reste enterrée au cimetière de saint Denis.

A nouveau il demande que son exil cesse, rappelle qu’il a tenu ses engagements et que si à nouveau le Maroc refuse son retour, qu’il puisse au moins s’installer en France afin que ses enfants puissent à leur tour avoir un avenir.

Pour ses filles il souhaite les marier au Maroc car les réunionnais ont des mœurs trop différentes.

A nouveau sa requête est rejetée.

L’emplacement de l’île rendait toute évasion impossible et les commerçants musulmans locaux qu’il côtoie à la mosquée sont bien trop pacifiques pour s’engager dans ce genre de projet.

Néanmoins ses proches racontent qu’Hitler aurait tenté de le faire libérer, afin de lui redonner une place pour qu’il puisse lui ouvrir les portes du sud de la Méditerranée, mais l’évasion ne put aboutir, la presse espagnol relate également cette tentative d’évasion par les allemands qui auraient envoyé un sous-marin.

Quand la seconde guerre mondiale éclate, il fait don de 5000 francs pour l’effort de guerre espérant marquer l’opinion des autorités françaises.

La guerre fait rage et le blocus du port de la réunion appauvrit la population poussant Abdelkrim à développer des activités diverses pour gagner sa vie.

La victoire de la France de De Gaule sur la France de Vichy permet à Abdelkrim d’espérer une amélioration de sa situation, à sa nouvelle requête, la France accepte d’étudier sa demande et décide d’enquêter sur ses enfants afin de voir si ils sont acquis à la cause française.

Tous ceux qui sont amenés à enquêter témoignent en sa faveur .

Il est conclu que la France n’a rien à craindre de son retour en Afrique du Nord et qu’au contraire il pourrait servir ses intérêts, que son retour en terre d’Islam serait un geste généreux auquel les musulmans seraient sensibles et permettrait d’utiliser ses enfants en bons serviteurs de la France.

Dans la foulée les pays arabes envoient des requêtes en faveur de la fin de son exil.

Les français n’ont alors plus rien à craindre des réactions espagnols car celles ci se sont détériorées depuis l’arrivée de Franco.

La situation financière de la famille s’aggravant et son impatience augmentant le capitaine bourgeois dans son rapport mets en évidence que leur mécontentement pourrait les pousser à accepter des offres venant de l’extérieur et leur connaissance du monde musulman serait dangereuse utilisée contre la France, il ne faut pas les pousser à rompre leur fidélité à la France.

La France finit par accepter de mettre fin à l’exil.

En février 1947 le gouvernement décide de le faire venir en France afin qu’il s’installe sur la Côte d’Azur.

Les 40 membres de la famille préparent leur départ, le cercueil de sa mère est retiré pour être inhumée au Maroc.

La famille salue leurs amis locaux.

La fin de la guerre mondiale donnait les prémices de l’indépendance des colonies, la France ne voulait pas renvoyer Abdelkrim au Maroc mais le garder en France pour l’utiliser dans la gestion de l’indépendance qui se préparait et faire ainsi pression sur le sultan Mohamed V.

Les français ne savaient pas encore que ce savant plan conçu pour altérer le prestige d’Abdelkrim allait tourner au fiasco…

Le 30/04/1947 la famille quitte la réunion après un pot d’adieu organisé à la Madrassa de saint denis qui avaient réunis de nombreux musulmans venus les saluer.

Quand le bateau jeta l’ancre, Abdelkrim fit un signe de la main et les larmes au yeux dit « je n’oublierais jamais les réunionnais. »

Le katoomba arriva bien au port de Marseille mais…sans Abdelkrim et sa famille, qui ont profité de l’escale à port Said en Égypte pour s’échapper.

Arrivés en Égypte la police égyptienne avait exigé sous ordre du roi Farouk que la famille quitte le navire, ce débarquement impromptu était le fait de l’Égypte et non de l’émir lui même.

Une fois sur terre, Abdelkrim remercia Dieu de l’avoir sauvé!

Il avait perdu ses biens qui était resté sur le bateau et son argent qui avait été transféré dans un compte en France mais il était libre, seul le cercueil de sa défunte mère resté sur le bateau le contrariait.

A Marseille les autorités l’attendaient ainsi que ses amis marocains, à la découverte de sa fuite ils furent dépités et ouvrirent une enquête.

Le corps de sa mère fit embarqué dans un bateau pour le Maroc afin qu’elle soit enterrée.

Hésitant à descendre en Égypte, il fut libéré du joug de ses geôliers et repris d’une autre manière le combat.

Il se livra alors à de frénétiques attaques contre la France, ce qui mis la France dans une position délicate vis à vis de l’Espagne qui avait toujours reproché à la France sa générosité envers l’émir.

A partir de 1947 jusqu’à 1963 il présida le comité de libération pour le Maghreb arabe et devint l’instigateur et l’initiateur de l’indépendance de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie.

Il mourut le 06/02/1963, des obsèques nationales furent organisées.