Kaddour Benghabrit est né dans l’ouest algérien en 1868, d’une famille prestigieuse originaire d’Andalousie.
Il fut prénommé Abdelkader en référence à l’émir Abdelkader et surnommé Kaddour par sa mère.
Il étudia d’abord la langue arabe et le Coran puis les autres sciences dès son jeune âge .
Puis se tourna vers l’étude du droit en vue d’être Qadi, pour cela il étudia à l’université Qaraouine de Fez.
L’administration coloniale recrutait des interprètes, il postula et fut retenu grâce à ses connaissances en droit, sa maîtrise de l’arabe et du français.
Après avoir travaillé quelques mois à Alger et Tlemcen il fut muté à Tanger au Maroc.
En moins de 10 ans il devint l’homme le plus important de la politique française au Maroc, sa position de musulman le rapprochait des marocains dont il partageait la foi et la culture, sa culture et sa maîtrise du français le rapprochait de ses collègues français.
La comte de Saint Aulaire dit de lui « avec sa double culture française et coranique, il était également à l’aise dans un salon diplomatique que dans une assemblée de Ouléma. »
Quand on lui demandait comment il faisait pour penser français d’un côté et islam de l’autre, il répondait « que voulez vous je suis né algérien et français pour moi ça ne fait qu’un. »
Il su gagner la confiance des marocains et des français.
Sa première mission diplomatique fut d’accompagner une délégation marocaine en France et en Russie où ses talents d’interprète et de diplomate furent mis en valeur et reconnus alors de tous, en particulier du sultan du Maroc, du président de la république française et du tzar de Russie.
Tout au long de sa carrière il sera utilisé pour défendre les intérêts de la France au Maghreb comme en Orient et maintenir sa suprématie sur les peuples colonisés.
Par la suite il fut l’initiateur du projet de construction de la mosquée de Paris et de l’institut musulman souhaité par la France dans sa politique coloniale consistant à inclure les états musulmans conquis à la France et dans le but de récompenser l’effort de guerre des musulmans mobilisés pour la guerre mondiale.
Il mena à bien ce projet qui finit par voir le jour mais ne fit pas que des heureux, Rashid Reda dénonça ce projet en disant que par cette mosquée la France cherche à améliorer sa réputation dans le monde musulman et accusant la France d’avoir détourné les waqfs algériens et tunisiens destinés aux villes saintes de la Mecque et de Médine au profit de la mosquée de Paris.
Également le leader algérien Messali Hadj et ses militants accusèrent la France de vouloir mettre en place un islam officiel symbolisé par la mosquée de paris.
Dans un communiqué du 14/07/1926 il déclara « la parade d’inauguration de la mosquée de Paris, la réception fastueuse faite au sultan du Maroc et les discours ministériels sur la grandeur de l’islam ne sauraient faire oublier que les armées coloniales écrasent la république de l’émir abdelkrim dans le Rif.
Muhammad Hamidullah déclara quant à lui que l’inauguration de la mosquée de Paris avait pour but d’atténuer dans le monde l’image négative de la France coloniale répressive.
Louis Massignon, célèbre orientaliste pris également position reprochant à l’institut musulman de ne faire aucun effort pour résoudre le problème du statut personnel des musulmans résidant en métropole.
Kaddour lui pensait en dirigeant l’institut servir l’islam et les musulmans.
La situation sanitaires des musulmans étaient telle et les traditions des musulmans différentes du reste des français il insista auprès des autorités afin qu’un hôpital musulman soit ouvert de façon à ce que les musulmans soient soignés dans le respect de leurs convictions et que la situation sanitaire s’améliore, le projet fut d’abord rejeté.
Suite à la mobilisation de nombreuses personnalités il finit par voir le jour à Bobigny malgré l’opposition de la municipalité, un cimetière vit également le jour .
Messali Hadj protesta à nouveau « comme si nous étions de race inférieure ou des pestiférés. »
Louis Massignon « cette manière d’isoler les patients musulmans, au lieu de favoriser un meilleur brassage des populations y compris dans la souffrance qui permet de rapprocher les gens. »
Si Kaddour avait acquis une solide réputation tant en France qu’au Maroc, après avoir passé sa vie à servir les intérêts de la France, il décida de se mettre au service des musulmans et défendre leur cause.
Drapé de son bournous il n’hésitait pas à se rendre au quai des orfèvres réclamait la libération des étudiants marocains régulièrement arrêtés pour des activités jugées politiquement douteuses.
A la tête de l’institut musulman il recevait ces étudiants qu’il orientait et conseillait, il dépensait de son argent personnel pour les aider dans leurs études.
Parmi les personnalités qu’il a rencontré, l’ex sultan Ottoman Abdelmajid II qui a la suite de la chute du califat s’exila en France ou il mourut en 1944.
Puis vint l’occupation allemande, les allemands voulurent réquisitionner la mosquée de Paris et y placer Hadj Amine Al Hosseini, un palestinien devenu l’artisan de l’Allemagne afin de pouvoir contrer les britanniques qui avaient promis un foyer juifs en Palestine.
Kaddour résistait, en tant que représentant du sultan du Maroc à Paris il jouissait d’une certaine immunité diplomatique, les allemands ne voulant pas se mettre à dos les musulmans abandonnèrent leur projet.
Ils lui firent alors des propositions de financement et de participer à la mise en place de la politique islamique conçue par le 3e Reich, ainsi qu’inciter les musulmans de France à collaborer avec les allemands, mais Si Kaddour déclina la proposition.
L’institut musulman devint alors un lieu secret de résistance à l’envahisseur nazi, les familles juives en attente de papiers pour se rendre en zone libre s’y réfugiaient ainsi que les francs-tireurs.
Quand la crise marocaine éclata en 1953, il tenta de concilier entre la France et le Maroc mais les politiques français ne l’écoutèrent pas cette fois ci, Georges Bidault alla même jusqu’à déclarer « jamais le croissant ne vaincra La Croix. »
Affligé il se retira définitivement de la politique.
Épuisé et malade, il décéda le 24/06/1954 dans son appartement de la mosquée de Paris.
La prière funéraire fut célébrée dans la mosquée de Paris et il fut enterré dans le jardin de l’institut musulman le 25/06, les musulmans étaient bouleversés par sa mort mais ils furent encore plus bouleversé quand l’après midi même les policiers débarquèrent à la mosquée afin d’effectuer une perquisition et saisirent tous les documents et notes personnelles de Si Kaddour, enterré le matin même.
Avant de quitter les lieux, une fois la fouille achevée les policiers conseillèrent vigoureusement aux membres terrorisés de la famille de Kaddour de penser à évacuer le logement et à aller s’installer ailleurs.
Tous quittèrent les lieux à l’exception d’Ahmed Benghabrit, son neveu qu’il avait désigné pour être son remplaçant, mais 3 ans plus tard il allait quitter la mosquée à son tour après une intervention musclée de la police, pour non conformité de ce nouveau directeur avec la politique répressive du gouvernement français en Algérie, ce qui permet de comprendre la perquisition à la mort de Si Kabbour à qui il était reproché la même chose.
Le credo de Si Kaddour tenait à 3 choses:
⁃ c’était un musulman convaincu, imprégné des idées salafistes de la fin du 19e siècle, qui croyait en l’universalité de l’islam et en la compatibilité de cette religion avec le monde moderne
⁃ C’était un serviteur inconditionnel de la France et de sa politique au Maroc, il était persuadé de rendre service à l’empire chérifien et d’être la garantie de sa survie, pour lui la société marocaine était pollué par le recours à la sorcellerie et aux pratiques polythéistes ce qui bloquait toute évolution et développement, la France pouvait être alors l’aide qu’avait besoin le Maroc pour s’élever industriellement et économiquement, se moderniser et y s’organiser. Le protectorat française était pour lui un moindre mal.
⁃ Son but final était l’unification du Maghreb et l’émancipation des peuples
Il mourut avant le déclenchement de la guerre d’Algérie.
Si Kaddour avait désigné son neveu pour prendre sa suite dans la gestion de l’institut musulman afin de garantir la continuité idéologique mais le gouvernement de Guy Mollet ne voyait pas les choses ainsi et décida de se défaire d’Ahmed en nommant Hamza Boubakeur acquis à la politique du tout sécuritaire du fait de la guerre d’Algérie et à celle de la lutte anti-indépendantiste, politiques que Ahmed Benghabrit refusait d’appliquer et dénonçait publiquement.
Ahmed avait même recruté en 1955 un imam Mohammed Lazrak membre du FLN, Hamza Boubakeur se pressa de le congédier en 1959 quand il eut connaissance de ses convictions.