Il y a un début de polémique sur l’appartenance de l’Emir Abdelkader à la franc-maçonnerie. Les avis sont partagés sur la question. Les historiens algériens n’ont rien tranché alors que l’écrivain Waciny Laredj, qui s’apprête à publier un second tome d’un roman sur le fondateur de l’Etat algérien moderne, avance que l’Emir a fait un passage par cette organisation. En France, les francs-maçons ont créé une loge qui porte le nom de l’Emir Abdelkader. Qu’en est-il exactement ?
Zhor Boutaleb, secrétaire générale de la Fondation Emir Abdelkader.
Quand l’Emir a sauvé les chrétiens à Damas, cela lui a valu les honneurs du monde entier. Tous les grands du monde l’ont honoré avec des médailles comme le Tsar de Russie, la Reine Victoria, le pape Pie IX, Abraham Lincoln, le Sultan Abdelmadjid, et j’en passe. L’Emir Abdelkader était proche de tout le monde et donc recevait tout le monde. Il avait reçu une lettre des franc-maçons qui l’ont félicité pour le travail qu’il avait fait. L’Emir leur a alors posé la question : « Qui vous êtes ? » La réponse était : « Nous sommes une association humanitaire ». Il leur avait répondu : « Alors, comptez-moi parmi vous ». Son idée était qu’on faisait partie de la même famille de l’humanité.
A-t-il adhéré à la franc-maçonnerie ?
L’Emir Abdelkader n’a jamais adhéré à la Franc-maçonnerie. Il n’a jamais été avec eux. Les franc-maçons cherchaient un nom charismatique tels que l’Emir Abdelkader pour « entrer » au Moyen-Orient. Ils n’ont pas pu le faire. Certains disent que l’Emir était à un moment donné dans la loge Henri IV. Or, il y a une correspondance qui précise qu’à cette date là, l’Emir Abdelkader se trouvait à la Mecque pour le pèlerinage. Il y a toutes les dates qu’il faut. Mohamed Chérif Sahli (auteur de deux ouvrages sur l’Emir Abdelkader) et Hamza Benaissa expliquent ces aspects dans leurs livres. Ceci dit, les gens connaissent-ils la franc-maçonnerie ?
On a tendance a en parler sans connaître les règles de cette organisation. L’Emir Abdelkader était un musulman, soufi. On lui a proposé d’être « le roi des arabes ». Il avait dit non. Alors vous croyez qu’un homme à qui on sert « le Royaume arabe » le refuse pour intégrer une loge maçonnique ? Cela ne va pas ensemble.
Qu’en est-il de l’épisode de Ain Madhi (siège du ksar de la Tidjania dans la région de Laghouat par les troupes de l’Emir Abdelkader en 1838) ?
Ce que j’ai pu savoir par la famille ou de par mes lectures. Le Français Léon Roches, qui était le traducteur de l’Emir (entre 1836 et 1840), était en fait un espion pour l’armée française (Léon Roche a fait une carrière de diplomate après). Il avait joué un rôle nocif. L’Emir Abdelkader ne s’était pas rendu compte de ses agissements. Il n’y avait pas de courrier qui allait vite. Il faut se mettre dans le contexte. Léon Roches avait rapporté des faits sans fondements et mensonges à l’Emir sur les Tidjani. En fait, c’est une histoire d’impôts. Pour mener et financer la guerre, il fallait que les grands chefs de tribus payent leurs impôts. Or, le Mokadem de la Tidjania ne voulait pas payer. Ce n’est pas cela le plus important. Il y a eu beaucoup de fausses interprétations, mais l’Emir a respecté la décision du chef de la zaouia même s’il a assiégé la Tidjania. Il y a des lettres, que vous pouvez trouver chez Cheikh Laid à Tamacine (Ouargla), qui évoquent le pardon entre l’Emir Abdelkader et El Mokadem Sid Ahmed Tidjani après cet épisode.
On évoque depuis sept ans un projet de réaliser un film de fiction sur l’Emir Abdelkader. Plusieurs scénarios existent déjà. Avez-vous été associés à ce projet ?
À l’époque, en 2013, un long-métrage devait être réalisé par Charles Burnett (cinéaste américain) et produit par Philippe Diaz (producteur à Hollywood). Nous l’avons appris à Genève. Nous étions en train de travailler sur l’Emir et le droit international humanitaire. On nous a appelés pour nous annoncer que le film allait être réalisé. Nous étions heureux. Mon père (Mohamed Lamine Boutaleb, président de la Fondation Emir Abdelkader) a assisté à la conférence de presse annonçant le projet. ll voulait avoir une idée sur le scénario. Il s’est alors adressé à Mustapha Orif, à l’époque directeur général de l’AARC (Agence algérienne pour le rayonnement culturel). Et c’est là qu’il a appris que Philippe Diaz voulait se référer à des témoignages de généraux français dans l’écriture du scénario. Ce n’était pas du tout normal. La Fondation a son propre conseil scientifique avec des historiens algériens. Nous avons toujours dit qu’il fallait décoloniser l’Histoire. Or, les généraux français représentaient la colonisation. Nous avons protesté. Le président de la Fondation a écrit au président de la République Abdelaziz Bouteflika et au Premier ministre Abdelmalek Sellal pour exprimer notre réprobation. Pour nous, c’était déjà un scandale (le projet du film sur l’Emir Abdelkader est gelé depuis 2014).
Réclamez-vous un droit de regard sur les films qui seront consacrés dans le futur à l’Emir Abdelkader ?
Bien sûr. Nous avons le droit de regard. Nous sommes là en tant que gardien de la mémoire de l’Emir Abdelkader. Je passe mon temps à le rappeler. On ne doit pas parler n’importe comment de l’Emir. Ces dernières années, nous avons remarqué qu’on touche de plus en plus aux symboles de l’État, à la Révolution algérienne, à l’Emir Abdelkader. On accuse certains anciens combattants de traîtres et d’autres choses. C’est choquant !
Vous pensez qu’on veut toucher à la réputation de l’Emir Abdelkader, considéré comme le fondateur de l’État algérien moderne ?
Oui. Certains tentent de le faire. L’Emir Abdelkader est une figure universelle, connue et reconnue dans le monde entier. Il n’y a pas un pays où il n’existe pas une place ou une statue de l’Emir Abdelkader. C’est extraordinaire. Mais, chez nous, nos enfants ne connaissent pas l’histoire de leurs ancêtres. C’est un autre scandale.
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