Communautarisme?

Terme flou et à connotation péjorative qui renvoie à des formes d’entre-soi, de séparatisme et de repli de groupes qui partageraient des pratiques et des conceptions du monde social singulières et manifesteraient une défiance à l’égard de la mixité sociale, ethnique ou religieuse.

Présenter ainsi les « communautés » contribue à stigmatiser certains groupes et à tendre les relations dans des sociétés multiculturelles, tandis que la reconnaissance de la banalité des liens communautaires pourrait permettre de mieux interagir dans des espaces nécessairement hétérogènes et mixtes.

Les collectivités locales font advenir des « communautés » par un jeu de distributions d’honneurs et de ressources.

Une fois construits, ces groupes peuvent être promus ou à l’inverse disqualifiés au nom de leur communautarisme supposé, au gré des vicissitudes électorales.

Ce faisant, les élus et les institutions font exister des communautés afin de mieux les contrôler en les constituant en clientèles électorales.

Louis Georges Tin dit « le communautariste, c’est toujours l’autre. »

Le « communautarisme » devient un mode réthorique de disqualification de l’adversaire politique.

Les sociétés modernes sont caractérisées par la multiplicité des liens sociaux qui unissent les individus.

Selon les sociologues classiques, cette diversité de liens est bénéfique à l’individu comme à la société.

Elle permet à l’individu de forger son identité personnelle et de poursuivre ses aspirations grâce à de multiples soutiens.

La cohésion interne d’une société est également renforcée par un entrecroisement des liens sociaux qui rappellent aux individus les règles de la vie commune.

En réalité, la mobilisation des liens affinitaires concentrés dans l’espace pour l’avancement d’intérêts collectifs ne différencie pas les résidents des quartiers populaires de ceux des beaux quartiers-hormis par le fait que seuls les premiers sont accusés de communautarisme.

Dès lors, les mobilisations politiques des groupes minoritaires sont interprétées comme le symptôme d’un séparatisme social alors qu’il ne s’agit souvent que de revendications pour une protection juridique, sociale et physique égale à celle des citoyens formant la majorité.

La perception du lien communautaire révèle donc un paradoxe.

Lorsque les groupes minoritaires investissent ce lien, il est perçu comme un vecteur de repli, de séparatisme et de désintégration sociale, qui sont dans le contexte français, des maux associés au communautarisme.

Mais quand la majorité investit ce même lien, les mêmes actions sont considérées comme participant à un fonctionnement sain du monde politique, de l’économie et de la société civile.

Paugam pour analyser la multiplicité des liens sociaux propose une typologie de 4 liens:

⁃ le lien de filiation

⁃ Le lien de participation organique

⁃ Le lien de participation élective

⁃ Le lien de citoyenneté

Le lien de filiation renvoie aux rapports tissés au sein de la famille entre les parents et les enfants.

Le lien de participation organique se réfère aux différents groupes au sein desquels la socialisation extrafamiliale de l’individu a lieu.

Le lien de citoyenneté unit les membres d’une communauté politique et l’état selon une logique statutaire, sa régulation formelle passe notamment par des droits et des devoirs.

Le lien communautaire peut être appréhendé comme une forme spécifique de participation élective, il se différencie du lien de participation organique et du lien de citoyenneté par le fait que sa formation dépend plutôt de sentiments d’affinité et de similitude que de logiques contractuelles et statutaires.

Il se différencie également en principe du lien de filiation car il rattache l’individu à des groupes qui dépassent la stricte sphère familiale.

Perçu comme une menace envers la cohésion sociale en France, le lien communautaire apparaît au contraire comme un remède à son effritement outre-Atlantique.

L’état depuis la révolution française se charge selon l’héritage jacobin, à ce qu’à l’intérieur de la société ne se développent pas de groupes intermédiaires porteurs de tendances de séparatisme social, tandis que le paradigme américain du capital social identifié la faiblesse de l’action collective et l’absence d’échanges comme entraînant une perte de cohésion sociale, s’appuyant sur la philosophie libérale et communautaire elle conçoit l’ordre social comme résultant de l’engagement volontaire des citoyens dans des groupes multiples fondés sur la confiance mutuelle et qui se superposent au sein de la société civile.

Contrairement au paradigme de l’intégration qui attribue la responsabilité de la cohésion sociale à l’état et à ses institutions.

La particularité française ne concerne pas un rejet tous azimuts mais la disqualification politique des groupes intermédiaires fondées sur des affinités ethniques.

La stigmatisation des formes de mobilisation des groupes minoritaires en tant que communautaires caractérise un contexte français où le terme de « communautarisme » entre dans le langage commun lorsque les autorités nationales prennent conscience du caractère durable de l’installation des travailleurs-migrants d’après guerre et de leurs familles et de l’émergence d’une « seconde génération » d’immigrés.

Reconduisant la fiction « d’une nation universaliste » capable de transcender les divisions ethnoraciales et religieuses.

Sous l’influence de l’investissement de la laïcité en tant que nouvelle valeur « républicaine », le « modèle d’intégration républicain » a ainsi été construit tout particulièrement autour de la notion du « problème musulman » qui associe l’échec de l’intégration sociale en France avec l’islam.

La déconnexion des classes supérieures

Travailler, comme nous l’avons fait, sur les représentations des pauvres par les plus fortunés exposé à une évidence: ces derniers ont très souvent la conviction de savoir précisément ce que vivent les pauvres, alors même que ceux-ci sont complètement étrangers au monde dans lequel ils évoluent et qu’ils ne les côtoient pratiquement pas.

Ils s’appuient sur des préjugés et des fictions rendant compte des raisons pour lesquelles les pauvres sont pauvres.

La diffusion de ce répertoire est de toute évidence facilitée par la vie sociale en vase clos qui prédomine au sein de ces quartiers.

Il se construit ainsi un ordre moral à l’échelle des beaux quartiers en rupture avec ce qui est vécu dans les autres espaces de la métropole.

Si les quartiers les plus défavorisés de la république française témoignent de l’existence d’une « fracture sociale », cela est sans doute plus vrai en ce qui concerne les quartiers les plus privilégiés.

Les beaux quartiers témoignent d’une profonde coupure avec la plus grande partie de la société française.

Les classes supérieures ont un poids disproportionné sur les décisions individuelles et collectives contribuant à la perpétuation ou à l’aggravation des inégalités et à la légitimation ou à l’inverse à la délégitimation des politiques de lutte contre la pauvreté.

Elles ont aussi un rôle important dans la diffusion des discours de stigmatisation des pauvres, au rang desquels figure notamment l’établissement d’un lien entre la pauvreté et le supposé communautarisme des habitants des quartiers relégués.

Stigmatiser pour mieux gouverner la ville

Accusation de « communautarisme » et répression politique à l’échelle locale

Le terme « communautarisme » a progressivement désigné un phénomène de repli identitaire-la plupart du temps racial et religieux- dans des espaces marginalisés.

Ce terme vise moins à décrire qu’à prescrire et proscrire tout à la fois, c’est avant tout un « disqualificatif » visant à combattre un ennemi politique par l’anathème.

En ce sens, il doit être appréhendé comme le pan rhétorique d’un dispositif de domination politique reposant sur une logique de proscription visant à la foi à exclure et à normaliser par la stigmatisation de mobilisations ou comportements présumés antirépublicains.

L’accusation de communautarisme, sorte de « mot matraque » permet de réprimer des sujets politiques minoritaires dont l’attitude contestataire est jugée trop subversive et la présence publique inacceptable.

Répression politique, invisibilisation des causes structurelles des inégalités, production du racisme…, la notion de communautarisme est le support rhétorique de stratégies politiques diverses, ce qui fragilise son éventuel usage scientifique.

Source « communautarisme ? »