Victor Schœlcher
Le principe de l’indemnisation des anciens maîtres esclavagistes, pour conforter la domination économique, a été parfaitement exposé par Victor Schœlcher, le grand ordonnateur de cette abolition (V. Schœlcher, Esclavage et Colonisation, textes choisis et annotés par E. Tersen, PUF 1948 rééd. 2007) :
« Les Blancs ne peuvent plus rester maîtres, puisque les Noirs ne veulent plus être esclaves. Il faut en finir. Puisse le gouvernement ne point se tromper longtemps encore sur les dangers d’un état de chose impossible, et vouloir enfin y appliquer le seul remède efficace, l’abolition immédiate de l’esclavage.
« L’humanité ne nous aurait pas fait un devoir de rendre sans délai la liberté à nos frères noirs, nous aurions réellement brusqué cette grande mesure que nous nous en féliciterions encore ; car c’est notre conviction profonde et raisonnée, il y avait mille fois plus de danger à différer l’abolition qu’à la donner. Les colonies ont été sauvées par l’émancipation. Ce n’est point ici l’ardeur d’un théoricien qui m’entraîne, c’est l’expérience des faits, des hommes et des choses. La liberté, quand son jour est venu, est comme la vapeur, elle a une force d’expansion indéfinie ; elle renverse et brise ce qui lui fait obstacle.
« Les Nègres allaient prendre la liberté eux-mêmes si la métropole ne la leur donnait pas. La monarchie, s’écroulant à jamais, rendait au droit toute sa puissance, et que pouvaient une poignée de maîtres contre des masses apprenant que l’on avait proclamé la République ?
« Les Nègres ne manqueront pas aux champs de canne, témoins de leurs douleurs et de leur opprobre passés, quand l’indemnité soldée, quand les banques coloniales constituées fourniront de quoi les payer, quand on les y amènera, je le répète, par de bons traitements, par la persuasion, par l’appât d’une juste rémunération, sous quelque forme qu’elle se présente, enfin par l’éducation et les besoins qu’elle fait naître en nous.
Tout délai eut porté les Nègres à la révolte…
Le gouvernement provisoire n’a pas été imprévoyant. Il s’est rendu compte de tout, il a agi avec un louable empressement, mais sans légèreté, et c’est pour sauver les maîtres qu’il a émancipé les esclaves ».
L’analyse de Victor Schœlcher est claire : s’il fallait émanciper les esclaves, c’était pour sauver les maîtres.
C’est dans ces termes exacts qu’a été prévue l’indemnisation, et jamais il n’a été envisagé de réparer les conséquences d’un crime de masse, ayant duré plus de deux siècles… Il s’agissait de conforter la domination blanche dans les colonies, alors que le modèle économique de l’esclavagisme était à bout de souffle, et de doter de moyens nouveaux le capitalisme industriel et financier afin de construire un empire colonial français.
http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/archive/2015/05/01/chap-5-l-abolition-1848-1849-917447.html