Les morisques et le racisme d’état

R.de Zayas lors de la publication de sa traduction des documents Holland sur les morisques déclara « il n’est pas du tout impossible que le destin de ce livre soit le pyrée d’une nouvelle inquisition. Je me flatte peut être car c’est la plus haute distinction qui puisse être accordé à un livre.

SIR Richard Fox Vassal, deuxième lord Holland (1773-1840), était anglais, riche et célèbre.

En 1802, son médecin lui conseilla un séjour de repos dans un climat sec et salubre.

Sir Richard jeta son dévolu sur Madrid et s’´y installa avec armes et bagages.

Au bout de deux ans, le jeune lord avait appris l’´espagnol et se préoccupait de trouver des manuscrits pour la bibliothèque de Holland House, l’nimposante maison familiale, que l’on peut encore admirer à Londres.

En 1804, il acheta une liasse de documents manuscrits à un certain don Isidoro de Olmo. Sir Richard venait d’acquérir l’´acte de naissance du premier Etat raciste de l’´histoire.

Homme intelligent et cultivé, lord Holland ne comprit cependant pas toute la portée des documents qu’´il emporta à Londres, se contentant d’´inscrire, en tête de la liasse, qu’´il s’agissait de  » papiers, Mémoires, descriptions et correspondances datés de 1542 à 1610 au sujet des morisques d’Espagne « .

Certains, note-t-il, sont des copies, d’´autres des originaux ; parmi ces derniers, il y a quelques lettres de Gonzalo Pérez (père du célèbre Antonio) adressées à Philippe II, avec des notes marginales autographes qui constituent les réponses de ce monarque.

Le 21 novembre 1989, l’´ensemble de ces documents fut mis aux enchères à Londres : il se trouve à présent dans les archives à Séville, sous le titre générique de  » collection Holland « .

L’´étude approfondie de cette collection révèle la teneur d’´un débat au sein des plus hautes instances de l’´Etat espagnol concernant l’´importante minorité hispano-musulmane, convertie de force au catholicisme.

Morisque signifiait exactement :  » musulman espagnol converti au catholicisme « .

Le problème social et politique posé par cette minorité était celui de la plupart des minorités : une altérité mal tolérée par la majorité.

Altérité religieuse d’abord, car les morisques restaient, en fait, des crypto-musulmans.

Altérité linguistique et sociale aussi, parce qu’’ils entendaient conserver leur langue (l’´arabe), leurs modes vestimentaires, leurs habitudes culinaires et hygiéniques (ils ne mangeaient pas de porc et se lavaient souvent, choses mal tolérées par les chrétiens de l’´époque), et leurs jours de fête.

Perçue, de surcroît, comme celle d’es agents de l’´ennemi étranger, c’est-à-dire comme des alliés actifs de l’´Empire ottoman, l’´altérité des morisques les désignait d’´une manière tangible comme « une menace pour la République chrétienne. »

Cinq documents de la collection Holland relatent explicitement le génocide, soit par la pendaison, soit par les travaux forcés dans les mines d’´Amérique et aux galères, où les morisques n’´ont aucune chance de se reproduire.

Peu ou pas praticable à cette époque, cette solution est systématiquement rejetée par les rois d’´Espagne.

Les deux autres suggestions seront appliquées : Philippe II se montrera toujours partisan de l’´assimilation, tandis que Philippe III (1598-1621), tout comme Philippe Pétain et Xavier Vallat, appuiera les partisans de la déportation.

Le grand théoricien de l’´Etat raciste est un dominicain valencien, membre du tribunal de l’´Inquisition de Valence.

Il s’appelle Fray Jaime Bleda : il est l’auteur d’´un livre où il expose ses théories et où il démontre que l’´élimination des morisques est une  » nécessité urgente « .

Le livre est un peu touffu pour le roi, et un résumé simplifié est préparé par un dominicain proche de Bleda, Fray Luis Beltran.

Ce document, qui porte le numéro 40 dans la collection Holland, emporte la décision royale.

Le duc de Lerma a gagné : 500 000 personnes – hommes, femmes et enfants, seront déportées avec, au moins, 75 % de  » pertes « .

Tous les biens de ces malheureux iront enrichir le duc de Lerma et ses partisans.

A lui seul, le duc possède désormais une fortune très supérieure aux réserves du Conseil du Trésor, qui de toute façon lui appartient aussi.

A cette époque, l’´Espagne, qui détient l’´hégémonie militaire et politique en Europe, compte huit millions d’habitants, ce qui permet de mesurer l’´une des principales raisons de sa décadence postérieure et de sa ruine : dans des régions entières les cultures sont abandonnées et tombent en friche.

Les corps de métier les plus prospères disparaissent : les transporteurs, les corporations de maçons, les grands éleveurs de chevaux et de mulets, les constructeurs de réseaux hydrauliques pour l’´irrigation, les maraîchers étaient morisques…

Ajoutée à l’´inflation galopante du XVIe siècle, aux épidémies, à la corruption de l’´administration et à la rapacité du duc de Lerma, ainsi qu’aux guerres incessantes, cette situation plonge l’´Espagne dans la période la plus sombre de son histoire.

Ce livre propose la traduction des archives qui relatent le calvaire subit par les morisques, les tortures qui leur ont été infligé et le contenu des procès des morisques dans leur moindre détail.

http://www.monde-diplomatique.fr/1997/03/DE_ZAYAS/8003