Avant propos ( Définition du mot sécularisation dans le dictionnaire larousse:
Passage de certaines valeurs du domaine du sacré dans le domaine du profane.
Retour à la vie laïque, avec indult de l’autorité compétente, d’un clerc ou d’un religieux.
Passage d’un religieux dans le clergé séculier.
Transfert à l’État des biens ecclésiastiques ou exercice par l’État de fonctions précédemment réservées au clergé (état civil, assistance publique, enseignement).)
L’irja a son origine désigne les partisans de l’abstention, ceux qui se sont abstenus de prendre une position dans le conflit opposant les compagnons suite à l’assassinat d’Othman, tel AbdAllah ibn Omar et d’autres, ainsi ils retardèrent le jugement de cette affaire en la renvoyant à Allah, leur position n’est pas blamable, ne joue pas sur le dogme et n’est pas une innovation.
Puis entre la mort de Muhawiya et le règne d’Al walid il y eu au moins 3 grandes révolutions menaçant le pouvoir des Omeyyades, ils cherchèrent alors un plan subversif pour que de la même manière que certains compagnons avaient refusé de prendre part à ce fait politique ( suite a l’assassinat d’othman) ils détournent leurs contemporains des affaires liés à leur gouvernance et qu’ils arrivent ainsi a obtenir une non ingérence de la population dans leurs affaires, il fallait pour cela faire adhérer un maximum de savants et autres à cette nouvelle forme d’irja.
Cette neutralité politique mis en place en tant que stratégie omeyyade, va alors influencer le dogme islamique sur les questions d’al imane, de l’apostasie et de l’importance des actes fragilisant l’ensemble du bloc qu’est l’islam.
Au sujet du premier phénomène d’irja personne n’avait rien à redire car il symbolisait la position de certains compagnons, cette irja au sujet duquel Sofyan ibn Al ‘uyayna dit « il y a deux sortes d’irja: le premier désigne ceux qui ont retardé l’affaire de ali et Othman, cette catégorie est révolue ( tahdhib al athar), quant au second il fut dénoncé par les savants de l’ortodoxie musulmane »
Sofyan ibn ´uyana dit d’eux « quant aux murjias de notre temps ils disent que la foi c’est la parole sans les actes: ne vous asseyez pas avec eux… ».
Ce phénomène d’irja varie selon les époques, selon les environnements, ayant des niveaux différents et des subtilités particulières, c’est pourquoi il y a nombreuses tendances au sein de ce courant, mais sa base est que les actes en sont toujours la cible.
Le bloc constitutif du système islamique est fortement soudé avec d’un coté l’islam et ses pilliers, al imane et la aquida et de l’autre la foi avec les actes et la loi, dès lors que l’irja revoit la définition de la foi et la place des actes ce bloc se fissure et aboutit à un laxisme, la définition de la foi s’élargit et celle de la mécréance recule, rendant musulman des gens que l’ortodoxie musulmane n’aurait pas considéré comme tel.
Zayd ibn Ali dit » je renie les murjia qui apaisent les débauchés par la promesse du pardon d’Allah ».
Cette dévaluation des actes rend possible toutes actions publiques contraire a la foi tant qu’il existerait une foi intérieure en Allah.
L’orientaliste Ignaz Goldziher dit: si l’acte ne forme pas un élément absolument indispensable dans la définition de l’orthodoxie -disent les adversaires- un murjite ingénieux pourrait en conclure que l’on ne peut qualifier quelqu’un de mécréant parce qu’il se prosterne devant le soleil, une telle action étant simplement un signe de mécréance et non la mécréance en soi. »
En même temps la dévaluation des actes dévalue automatiquement la loi ( la sharia), étant donné que les actes sont prescrits par la charia, remettre en cause les actes revient a’ remettre en cause la cause des ces actes.
Cette doctrine est complaisante envers les détenteurs de l’autorité c’est pourquoi son neutralisme politique etait encouragé par les Omeyyades.
Sous le règne des abbassides cette doctrine devint un « dine » comme le dit Nadhr.
Nadhr ibn chumayl rendit visite à al Ma’mun qui lui dit comment t’es-tu réveillé Ô Nadhr?
Il dit dans la bonté Ô prince des croyants.
Il demanda qu’est ce que l’irja?
Je répondis ( nadhr ) une religion qui est en accord avec les rois, ils gagnent la vie mondaine avec cela et perdent leur religion.
Alors il répondit vous avez dit la vérité.
Cité par Ibn Kathir.
Les omeyyades avaient tenté de réactiver cette irja historique ( simple retrait de certains compagnons ), qui fut à leur epoque surtout une réaction contre les positions extrêmes des khawarijs quant a leur definition de la foi et aux consequences politiques, puis subit une mutation en un dine au service des rois accusés d’injustice afin qu’ils ne soient pas remis en cause, justifiant par cela leurs péchés, levant le blâme sur eux et réfutant l’opposition des ennemis du pouvoir.
De nos jours cette doctrine s’attaque directement à l’application de la sharia en permettant au gouverneur d’avoir la certitude que si il ne l’applique pas il ne commet qu’une faute mineur ne l’excluant pas de l’islam.
Les savants de l’orthodoxie l’ont condamné car cette doctrine fissure la citadelle de l’islam de l’intérieur élargissant sa porte d’entrée et réduisant sa porte de sortie.
Ce phénomène est intimement lié au christianisme fondé par Paul avec ces mêmes principes en vue de détruire de l’intérieur le message de Issa (Jesus).
Le fondateur du christianisme, Paul de Tarse dit » ce qui compte ce n’est pas d’obéir à la loi, c’est de croire. » *
Romains 3, verset 27
Ibn abbas dit « craignez al irja car c’est une branche du christianisme. »
Cette irja est également lié au judaïsme des pharisiens qui bien qu’en apparence attaché a la loi sont en faite attachés aux lois humaines qu’ils ont mis en place, pour preuve ils donnent prééminence au Talmud sur la torah.
Matthieu dans son évangile cite » c’est en vain qu’ils m’honorent en enseignant des préceptes qui sont des commandements d’hommes. »
Ainsi comme les murjites ils ont une croyance dont ils délaissent les actes conformes, ils abandonnent la loi divine pour celle des hommes.
De plus en tant que peuple élu ils sont immunisés contre l’apostasie quelqu’acte qu’ils pratiquent, Allah dit » le feu ne nous touchera que pour quelques jours comptés » d’ou l’appellation par Said ibn al Joubayr des murjites « juifs de la qibla. »
En faisant éclater le bloc constitutif de l’islam, en s’affranchissant de ses fondations l’irja favorise le processus de sécularisation laïque au sein de l’islam.
Le principe de séparation de l’église et de l’état, du religieux et du terrestre est intimement lié à la séparation des actes et de la foi.
Le principe de l’irja est la remise en cause de la place des actes dans la foi, ainsi la non application des actes implique une dépréciation de la sharia.
La diminution symbolique de l’importance des actes même si ils sont toujours pratiqués individuellement ou collectivement sont alors perçus comme venant de l’autonome volonté.
L’homme est alors affranchi du religieux, la foi devient alors du domaine du privé même si elle peut avoir une dimension collective, l’important étant que cette foi ne déborde pas politiquement dans l’espace public, ainsi la foi et la source dont elle est originaire n’ont plus vocation à être appliqué dans l’espace public pour gérer l’ensemble de la société, c’est là le prélude de la laïcité.
Alors qu’en islam la sharia, loi issue de la religion a pour vocation d’être appliqué dans l’espace public pour gérer la société, l’irja permet aux gouverneurs de la délaisser en leur fournissant les excuses pour.
Cela nourrit un processus de désislamisation des sociétés dont les individus cessent de pratiquer les rites que la loi les contraignaient à faire auparavant.
A titre d’exemple la zakat collecté par l’état islamique aujourd’hui abolit et remplacé par des impôts séculiers laissant le musulman s’acquitter ou non de celle ci selon sa seule volonté personnelle.
On retrouve dans l’irja tous les ingrédients nécessaires permettant la laïcisation.
A la différence avec le christianisme qui a pris directement pour cible la loi, l’irja ne remet pas en cause la loi en elle même, c’est la place qu’elle donne à l’acte qui rend la loi moins importante.
De nos jours il n’existe pas de groupe se revendiquant de l’irja directement, c’est plutôt un phénomène inconscient et involontaire ayant pénétré la communauté par diverses causes.
Si l’ont dissèque la vision de l’islam de certains savants et des musulmans en général ont remarque qu’ils ont adopté des points de vue totalement assimilables à ceux des murjias et ce sans même s’en apercevoir, c’est là toute la problématique.
Ses effets sont différents selon les types d’individus, groupes ou classes sociales touchés.
Pour la grande majorité des gens elle réduit la pratique à une tradition sans implication réelle, l’importance est donné au symbolique de l’attachement à l’islam et non au respect scrupuleux de la loi, ainsi libre à chacun d’être pratiquant ou non, c’est d’ailleurs pourquoi l’apostasie demeure chez la majorité des musulmans un sujet tabou.
L’irja ici sera ici synonyme de sécularisation.
Quand elle touche certaines élites telles les autorités elle mène au délaissement de l’islam en tant que source de législation, ainsi ces élites seraient musulmanes dans la sphère privée mais dans leur rôle politique ou professionnelle, la base de leur pratique serait opposé a l’islam.
Chez eux l’islam en tant que modèle d’organisation politique et social n’appartient qu’au passé et est inopérante pour nos sociétés moderne, c’est pourquoi elle doit rester une affaire privée.
L’irja ici sera plutôt synonyme de laïcité.
L’irja a contaminé tous les courants, même certains qui est en apparence sont hostiles à l’irja.
Il y est entré par des ambiguïtés contradictoires nées autour du principe d’obéissance au pouvoir politique.
Ce lien entre l’irja et l’obéissance inconditionnelle aux dirigeants avait déjà été pointé du doigt par Ibn taymiya qui dit « la voie des murjtes parmi ceux qui ont adopté le principe d’obéissance aux dirigeants même si ils ne sont pas pieux. »
Cette obéissance absolue est le signe éclatant d’une autonomie du politique face au religieux.
En sacralisant l’obéissance au dirigeant on désacralise l’obéissance a Dieu.
Les affaires religieuses sont renvoyées aux savants et les affaires politiques aux dirigeants.
Cette posture laïque inconsciente est une porte ouverte à la sécularisation.
Ainsi l’islam ne concernera dans la pratique que le culte ( c’est à dire les adorations privées même si elles sont effectuées collectivement ).
Ce phénomène a permis de créer une caste de professionnel de la religion assimilable à un clergé incontestable.
Le désintérêt pour les affaires publiques étant cultivé , l’islam perd alors sa dimension publique, l’individualisme peut triompher, ne cherchant plus à réformer l’environnement social l’islam se satisfait de son contexte tant que celui ci le tolère et n’aspire qu’à un individualisme égoïsme sous couvert d’ascétisme.
Ainsi une partie des théologiens en apparence orthodoxe et anti laïcité sont devenus eux mêmes des laïques qui s’ignorent à force d’incohérence, car bien qu’ils condamnent la laïcité et la refuse leurs paroles, leurs actions et leurs prises de position témoignent qu’ils sont influencés par elle.
Conclusion :
L’irja qui au départ ne semblait être qu’une querelle schismatique de dogme est en réalité un processus de sécularisation interne a l’islam.
Thomas urbain agent de l’impérialisme français pendant l’Algerie coloniale a dit: « Tant que les indigènes n’auront pas opéré une séparation radicale entre le spirituel et le temporel, tant que leur culte et leurs dogmes religieux seront en contradiction avec nos codes, ils ne pourront pas être investis du titre de citoyens français. Il faut que le Coran devienne pour eux un livre purement religieux sans action sur la législation civile. Ce progrès n’est pas impossible. D’autres peuples sont sortis de l’organisation théocratique et se sont rangés sous un gouvernement séculier, sans abdiquer leurs croyances. »
Source « les origines chrétiennes d’une laïcité musulmane »